Enfin, voilà un jour heureux pour moi ! (25 Août 1917)
Le matin j’étais au travail comme à l’ordinaire sur le chantier. « Vergne ! me disent mes camarades, Lefay t’appelle. » Je vais vers l’interprète Lefay qui me dit : « Vergne tu vas partir pour un kommando de culture ; ça te va ? » – « Oh ! oui, lui dis-je, tant mieux. Chez les paysans je serai mieux qu’ici. » Le feldwebel (nous l’appelons « le Juteux ») était là et il m’emmène à la baraque où je rencontre le nouveau venu que je dois aller remplacer. J’allais lui parler mais le feldwebel m’a interrompu en me disant de me dépêcher à faire mes paquets pour partir par le train de 11h. Un gardien est venu me chercher ; il a l’air sympathique celui-là ; il veut m’aider à porter mes affaires. À la gare nous rencontrons un soldat allemand qui attend l’arrivée du train et qui transporte avec lui deux jattes de lait. En attendant le train mon gardien cause avec lui ; ils me posent quelques questions et m’offrent une cigarette. Le jeune soldat allemand, c’est un blessé en convalescence, me donne quelques poignées de prunes. Le train arrive. Dans le compartiment où je monte avec mon gardien et le jeune soldat se trouvent déjà deux civils et un soldat qui revient de permission. Celui-ci est très aimable ; il m’aide à monter mes caisses et à les arranger dans le compartiment. Je m’assieds près de lui. Souriant et affable il s’empresse de m’offrir un bon cigare et me donne du feu pour l’allumer. Presque sans m’en douter, je fraternise avec lui ; il est très aimable pour moi, je ne puis qu’être de même envers lui. Alors nous nous lançons dans une conversation bizarre ; il sait quelques mots de français, je sais quelques mots d’allemand et, avec ce vocabulaire mixte, nous nous comprenons assez bien. Il me demande tout d’abord en souriant : « La guerre bientôt finie ? ». Je réponds avec un sourire et un haussement d’épaule qui veut dire : « Qu’en sais-je ? ».

Il me parlait du front où « Beaucoup Allemands et beaucoup Français kaput. » puis il tira de son portefeuille une vieille carte intitulée « L’Offensive dans la Somme » et indiquant le théâtre de l’offensive franco-anglaise avec le terrain évacué par les Allemands. Il me montrait les endroits où il avait combattu et où il y avait eu beaucoup de morts.

C’était plus que de la camaraderie que ce feldgrau me témoignait, c’était une cordiale amitié. Il prit son bidon d’aluminium recouvert de drap gris et m’offrit à boire. Je croyais que le bidon était plein de bière ou de café et je me disposai à en boire un bon coup. J’en bus de trop et par erreur car c’était du schnaps et je sentis peu après qu’il me montait à la tête. Notre conversation amicale se poursuivit ; le feldgrau me demandait où j’avais travaillé et ce qu’on m’avait fait faire. Je lui répondis en concluant que ce n’était pas le rêve d’être prisonnier de guerre. Il m’approuva mais en ajoutant : Il vaut encore mieux être prisonnier qu’être sur le front. Les prisonniers allemands ne sont pas plus heureux que les prisonniers français.

Nous étions si absorbés par notre conversation en fumant notre cigare que je ne fis aucune attention aux magnifiques paysages que nous offraient les rives du Rhin, nous arrivions à Neuwied, filiale N° 222 du camp de Limburg, il y avait dix-huit Français et une douzaine de Russes. Tous étaient détachés, chacun individuellement, chez les cultivateurs de la région. Sauf trois ou quatre qui rentraient chaque soir à la baraque, les prisonniers demeuraient toute le semaine chez le paysan qui les employait et logeaient chez lui. La plupart revenaient à la baraque chaque Dimanche matin ; un gardien les rassemblait et les conduisait. Le soir, avant la nuit, ce même gardien ramenait les prisonniers chez les paysans. Nous aimions bien cette journée du Dimanche à la baraque où nous nous retrouvions tous et où la gaieté ne manquait pas. Chacun avait beaucoup de choses à raconter : ce qu’il avait fait durant la semaine, les tours qu’il avait joués à son bauer, à son « singe » comme on disait ; quelques-uns parlaient même de leurs « amours » avec de jeunes paysannes allemandes etc… Nous recevions la correspondance, les colis quand il y en avait ; le gardien-chef nous communiquait quelques avis venant du camp, passait en revue nos vêtements et nos chaussures et les faisait renouveler lorsque c’était nécessaire. A 11h½ les gardiens nous enfermaient à clef dans notre baraque et alors c’était le meilleur moment de la journée. Ceux d’entre nous qui avaient réussi à subtiliser des œufs, du beurre et quelques légumes appréciés à la ferme s’empressaient auprès de la petite cuisinière. Les gardiens ne devaient pas voir la bonne omelette qui se préparait de temps à autre.

Pour ma part je ne volai jamais rien aux paysans chez lesquels j’étais employé, pas même un œuf ; mais celui qui m’avait précédé à la maison où j’étais avait usé et abusé des stratagèmes les plus ingénieux pour dérober du beurre et des œufs. Dire que je ne volai jamais rien c’est trop dire ; en montant à la chambrette qui m’était réservée au grenier je passais près d’un grand tas de belles pommes que j’avais cueillies moi-même à la main et soigneusement au prix de toutes sortes d’acrobaties ; en les voyant je me laissais tenter comme notre grand’mère Ève et j’en prenais facilement deux ou trois que je dévorais dans ma chambre avec une vive satisfaction.

Le lendemain de mon arrivée à Neuwied le gardien qui m’avait amené d’Erpel me conduisit au petit village où je devais travailler chez des paysans. C’était un gentil petit village gracieusement assis aux flancs des collines couvertes de prairies, d’arbres à quetsches et de pommiers, à proximité des magnifiques forêts de Montrepos et traversé par un ruisseau aux eaux régulières et limpides duquel provenait sans doute le nom de l’endroit Rodenbach, bach signifiant ruisseau en allemand.

Je fus présenté à une vieille femme à la face ridée comme une de ces vieilles pommes qui ont passé l’hiver au grenier, aux yeux durs et méfiants, à l’air renfrogné, devant laquelle je me sentis mal à l’aise. C’était la patronne du logis ; elle n’avait plus voulu du prisonnier français qui m’avait précédé parce qu’il était fainéant et voleur ; je venais donc pour le remplacer. Elle me demanda immédiatement si je savais labourer « ackern », faucher « mähen », taper la faux « sense klopfen ». Je lui répondis que je savais labourer, que j’étais habitué aux divers travaux des champs ayant été élevé à la campagne mais que je n’avais jamais pratiqué l’art de faucher et de battre la faux. Elle m’installa à fendre du bois sous la grange et c’est là que je venais toujours par la suite lorsqu’aucun travail spécial ne m’avait été indiqué. Le lendemain, « ma vieille », c’est ainsi que je l’appelais (mes camarades du village l’appelaient « la vieille chouette ») me conduisit au milieu des champs pour faucher du trèfle. Elle me montra elle-même le maniement de la faux allemande qui ne ressemble pas à celle en usage dans mon pays. J’eus beaucoup de peine à m’en servir convenablement pour commencer, je lançais le tranchant sur les cailloux, j’enfonçais la pointe dans la terre. Je mis fort longtemps à couper un petit rectangle de trèfle. Mais, peu à peu je pris de l’expérience et fus même un assez bon faucheur par la suite. Dans sa petite étable, ma vieille avait une jolie petite vache, un veau et un bœuf superbe, gras et vigoureux, pour lequel elle avait une très grande affection. Elle le choyait, le flattait et l’appelait « meine fein kerl » « mon beau garçon ». C’était avec ce bœuf que je labourais. Ma vieille ne voulait pas que l’on fît usage de l’aiguillon pour le faire avancer lorsqu’il paraissait s’endormir sur place ; elle me disait que les Français avaient tord de piquer leurs bœufs parce que cela était cruel d’abord et ensuite parce que cela abimait le cuir de leurs bêtes. Je devais seulement faire claquer le fouet derrière lui sans le frapper. Ma vieille était pleine de douceur de d’humanité pour les animaux et elle avait certes bien raison, cela me touchait même, mais elle était un peu moins bonne pour les hommes surtout pour les Anglais. Elle me disait un jour : «  Je crois que les Français et les Italiens ne désiraient pas la guerre mais les Anglais !… Moi je ne ferais pas un seul prisonnier anglais, je leur ferais couper le cou à tous ! « Alles hals abschneiden ! ». En me disant cela elle pensait que moi, Français, je pourrais être de son avis et avoir des motifs de ne pas aimer nos alliés d’outre-Manche mais je lui répondis en riant : «  Oh ! mais vous êtes bien méchante, vous ; plus méchante que vos soldats, hein ! »

Le bœuf, le beau favori de ma vieille, me jouait de bien mauvaises farces à moi. Il tirait la charrette et surtout la charrue avec une lenteur désespérante mais enfin s’il n’y avait eu que cela c’eût été peu de choses pour moi. Mais ce bœuf était doué d’une vue merveilleuse ou d’un flair particulier ; il apercevait sa patronne de fort loin et bien avant que je ne l’eusse aperçue moi-même ; dès lors il beuglait, il beuglait en tendant son mufle toujours dans la même direction ; il ne voulait plus marcher droit, il sortait de son sillon ; je ne pouvais plus rien obtenir de lui. Alors, j’en prenais mon parti et tous deux nous faisions la pause jusqu’à l’arrivée de la patronne. Le bœuf beuglait, beuglait toujours. Lorsque ma vieille était là, son favori lui témoignait son contentement par toutes ses attitudes ; elle lui donnait des caresses et des friandises végétales. Ensuite le bœuf consentait à reprendre son travail, à condition toutefois que la vieille ne s’éloignât pas trop ; il tournait la tête en meuglant pour l’apercevoir et faisait sortir le soc du sillon. Cette affection réciproque et touchante entre ma vieille et son bœuf m’occasionnait de plus grands ennuis. Lorsque, midi approchant, je dételais l’animal de la charrue pour l’atteler à la petite charrette et rentrer au logis il me jouait parfois un tour à sa façon. Pendant que je le délestais de la charrue ce bonhomme de bœuf, d’une placidité absolue, paraissait être l’animal domestique le plus doux et le plus fidèlement soumis que la eût jamais connu. J’en étais ravi et tout fier ; je le caressais et lui parlais tendrement ; j’enlevais les crochets du joug et de la charrue, je pliais les câbles et je les plaçais sur la petite charrette. Le brave bœuf ne bronchait pas ; c’était merveille de le voir immobile. Oui, mais dès qu’il me voyait à quelques pas de lui et qu’il se sentait libéré de tout lien, n’ayant que son petit joug sur les cornes, il s’élançait à fond de train et comme pris d’une fureur subite à travers les champs, piétinant les récoltes ou les terrains fraîchement ensemencés. Ah ! le sournois ! l’hypocrite ! C’était un bœuf allemand et un faux bonhomme. Parvenu à quelques centaines de mètres, portant haut la queue, comme un panache de révolte, il se retournait pour me regarder et, voyant que j’étais loin de lui dans la plaine il se mettait à brouter au milieu des betteraves. Je profitais de cet arrêt pour courir à lui au pas gymnastique, et le plus discrètement possible, pour tâcher de le surprendre et de le rattraper. Peine inutile ; dès qu’il me sentait à moins de cinquante pas de lui, il repartait avec un élan, une fougue étonnante pour un simple bœuf. Le même manège recommençait jusqu’au moment où, le bœuf ayant atteint la route, il se dirigeait vers la maison. Arrivé à la maison, il avertissait la patronne de sa présence devant l’étable en poussant un mugissement qui semblait exprimer à la fois une plainte et toute la satisfaction qu’il éprouvait de m’avoir échappé pour venir tout seul retrouver sa bonne maîtresse.

Ma vieille était veuve depuis quelques années. Elle avait élevé trois filles et un fils. Le fils avait été mobilisé en qualité de gendarme et se trouvait en Belgique. Les deux aînées des filles étaient mariées et avaient des enfants. La plus jeune, Maria, avait le même âge que moi et demeurait avec sa mère. Elle avait une amie nommée Paula qui venait la trouver souvent, le soir, à la maison. Ces deux jeunes filles n’avaient pas eu une conduite très sérieuse, ni l’une ni l’autre. Maria était enceinte de quelques mois lorsque j’arrivai chez la vieille. Paula était, je crois, une sorte de courtisane qui avait su « se débrouiller » pour ne pas avoir d’enfant. La première fois que Paula me vit, un soir, pendant que je mangeais la soupe, elle s’accouda sur le bahut, près de la porte d’entrée et me fixa comme si elle eut voulu m’hypnotiser et de telle sorte que je fus obligé de baisser les yeux ; j’étais troublé car elle était belle fille et je dus rougir. Je fus gêné, intimidé mais je ne donnais aucune prise à ce que je sentais dans l’air. Les pensées se culbutaient dans mon cerveau et malgré mon indignité et ma bassesse ce fut un sentiment de dignité qui m’empêchât de me laisser aller et de me rouler par la suite dans la débauche. Je me disais : « Souviens-toi qu’en ce moment même tes camarades souffrent et meurent dans les tranchées. Que penseraient-ils de toi s’ils savaient qu’indifférent au drame formidable et angoissant qui se joue là-bas tu te livres à des actes coupables avec des filles allemandes ? Que penseraient surtout de toi les frères qui t’écrivent et te font envoyer des colis ? Comment oserais-tu paraître plus tard en France ? Non, tu ne peux pas en venir là, non. Ce qui est bien excusable pour tes camarades ne l’est pas pour toi. Non, c’est impossible que tu oses, non, non ». Paula se rendit compte peu à peu que je ne paraissais pas comprendre et elle sembla se demander à quelle espèce d’hommes je pouvais bien appartenir.

Parfois, le soir, lorsque j’avais mangé la soupe et que je ne me sentais pas trop fatigué, je prenais un encrier, un porteplume et un cahier pour faire un peu de vocabulaire allemand avant de monter me coucher. Paula et Maria entraient en conversation tout en faisant un travail de couture ou de tricotage et bientôt la vieille s’endormait accoudée sur la table. Je ne comprenais pas grand’chose dans la conversation des jeunes filles qui souvent riaient comme des folles ; ayant toujours été avec des camarades français avec lesquels je parlais la langue maternelle je n’avais pu apprendre que quelques mots et expressions d’allemand. J’avais désiré et demandé des livres pour m’instruire en cette langue mais je n’avais pu réussir à me les procurer. Paula s’asseyait sur la table, me passait la main sur les cheveux et me disait les seuls mots en français qu’elle connût et qu’elle avait appris je ne sais où : « Hans, mon cœur ! ». Je souriais bêtement aux jeunes filles comme un idiot que j’étais et que je suis encore ; je ne les repoussais pas, je ne protestais pas ; j’étais entièrement passif ; je ne faisais rien qui put les attirer ou les enhardir ; je continuais à transcrire des mots allemands sur mon cahier. Malgré une foule de pensées à peine ébauchées qui me traversaient l’esprit, je restais passif, je n’osais rien. Je dois dire que à cette passivité extérieure n’était pas étrangère une vague crainte de déplaire à Maria en me montrant trop sensible à l’attention que me témoignait son amie Paula.

Au bout de quelque temps, Paula me jugeant sans doute indifférent et drôle ne fit plus attention à moi et ne vint que plus rarement voir son amie.

Sans m’en rendre compte j’avais contracté une certaine affection pour Maria car elle venait avec moi aux champs et en particulier pour les travaux de la fenaison. De plus elle prenait souvent ma défense devant sa mère envers laquelle elle se montrait parfois irrespectueuse et grossière dans ses paroles.

Si le temps semblait être à la pluie lorsque la vieille me disait de partir arracher des pommes de terre Maria intervenait et reprochait à sa mère de m’envoyer dans les champs par un temps pluvieux. Elle avait toujours gain de cause ; la vieille me disait : « Ne pars pas aux champs mais va fendre du bois pour le feu. » Le coin du hangar où je fendais du bois était éclairé par une porte que je laissais ouverte ; cette porte ouvrait sur une courette par laquelle on entrait dans une cave, à droite. Pendant que je maniais la hache Maria venait par la cave sans que je l’aperçusse et me lançais des pommes de terre. Je sortais dans la courette et j’entendais ses grands éclats de rire alors je me mettais à sa poursuite à travers la cave d’où elle s’échappait en claquant la porte et en riant de plus belle.

Un jour, elle m’avait taquiné sous le hangar, je la saisis et en la tenant le mauvais désir me hantait mais à chaque tentative que je fis elle me menaça de crier ce qui m’effraya et finit par me calmer.

Un camarade m’assura un jour à ma très grande surprise que Maria était enceinte de huit mois ; je ne pouvais le croire ; nul n’aurait pu s’en douter et si ce camarade le savait c’était sans doute Maria elle-même qui le lui avait avoué ! Et c’était bien vrai. Un mois après un vieux personnage arriva à la maison ; c’était l’accoucheur mais je ne m’en doutai pas tout d’abord, la vieille me fit croire que c’était un parent de la famille. Ce vieillard avait fait la guerre de 1870 et il se plaisait à me dire des mots français qu’il avait retenus avec leur signification en allemand.

Le lendemain Maria s’en alla accoucher chez sa sœur aînée à l’autre extrémité du village. Elle donna naissance à une petite fille qu’elle appela Hilse.

Cet évènement me montra que, sans s’en rendre compte, j’avais conçu pour elle je ne sais quelle sorte d’attachement car, rentré sous mon hangar, j’eus une crise de larmes ce qui aussitôt après me troubla et me surprit.

Ici je me reconnais incapable de m’analyser moi-même. Les jeunes garçons m’interpellaient dans le village : « Hans, Maria kind ? » «  Jean, Maria a eu un enfant ? » Je comprenais tout ce qu’avaient pu dire de joyeux à ce sujet toutes les mauvaises langues du village. Je passais sans paraître faire attention à ce que me criaient les gamins.

Lorsque, le dimanche suivant, je vins à la baraque, le gardien qui m’avait amené d’Erpel à Neuwied me fit des plaisanteries et me félicita ironiquement de ce que « les miens » poussaient vite et arrivaient à terme « au bout de quatre mois » puis il me demanda pourquoi je ne savais pas profiter des belles jeunes filles du village et il accompagnait ses paroles d’un geste de la main. Voilà donc la mentalité de ces gens-là. Il me semble qu’en France il en était autrement et qu’on ne parlait pas de cette façon aux prisonniers allemands.

Il est vrai que si j’avais été crânement, ouvertement ce que j’aurais dû être ; si je n’avais pas craint…

[récit interrompu, page arrachée]

Après son accouchement, Maria eut une fièvre puerpérale dont elle faillit mourir. J’allais la voir chez sa sœur et je lui apportai quelques biscuits (c’était le pain blanc qui n’existait plus en Allemagne) et du chocolat.

Elle se remit très bien et revint à la maison avec sa petite fille, un jolie bébé de bonne venue.

Le père, qui n’était pas un Français comme certains avaient eu l’air de le croire mais bien un Allemand, fut appelé à reconnaître sa paternité. Il le fit avec une meilleure bonne volonté que ne s’y était attendue la famille ; il obtint un congé et vint le passer à la maison de la vieille en attendant le mariage ; c’était vers le milieu de l’automne de 1917. Il m’aida dans les derniers travaux des champs que je ne terminai pas d’ailleurs.

Je n’aimais pas beaucoup « ma vieille » et depuis que Maria ne sortait plus aux champs je m’ennuyais à voir toujours près de moi la mine renfrognée de sa mère. Au fond, elle n’était peut-être pas méchante cette vieille, j’ai dit quelle affection elle avait pour son bœuf. Mais elle était avare et maraudeuse. Ainsi quand elle venait aux champs avec moi, et elle me suivait presque toujours, elle ramassait dans ses mains les bouses qu’elle trouvait sur le chemin pour les porter dans ses terres afin de ne pas laisser se perdre un si bon engrais. Aussi je n’étais pas très fier de marcher près d’elle lorsque je rencontrais les autres paysans du village ou des camarades prisonniers. Le soir elle venait m’aider à ramasser les pommes de terre que j’avais arrachées pendant la journée et elle ne partait chercher le bœuf et la charrette pour les emmener que lorsque la nuit descendait. Tandis qu’elle partait je voyais au loin mes camarades qui faisaient le chargement et se disposaient à gagner le logis ; cela me mettait en rage car ma vieille n’était pas de retour avant trois quarts d’heure plus tard. Il faisait très noir quand je chargeais les sacs de pomme de terre sur la charrette. Le chargement terminé la vieille m’envoyait à la maison par le plus court chemin pour faire la litière à l’étable et pour faire bouillir la chaudière de feuilles de betterave mélangées à des graines de foin que l’on servait à la vache et au bœuf qui en étaient friands. Lorsque la vieille arrivait à la maison avec le chargement de pommes de terre je remarquais sur la charrette de superbes carottes fourragères qu’elle avait dérobées dans les champs des voisins puisqu’elle n’en avait pas dans les siens ; il y avait toujours sur les sacs quelque chose qu’elle avait fricoté en route à la faveur de la nuit. Cela ne me plaisait pas du tout.

Les paysans qui avaient à leur service un prisonnier lui donnaient tous, à la fin de chaque semaine, deux ou trois marks en récompense de son travail et ma vieille ne me donna jamais rien, pas même un pfennig. Une ou deux fois dans la semaine elle me servait pour mon repas de midi une soupe à la choucroute qui me brûlait l’estomac le reste de la journée. Aussi, après en avoir fait l’expérience, je n’en mangeais plus. Lorsqu’il y avait soupe à la choucroute je faisais semblant d’y goûter et je sortais aussitôt. Du dehors j’entendais une discussion entre la mère et la fille. Et la vieille répondait à sa fille : « Il peut bien la manger puisque moi je la mange bien. »

Je dois dire que ma vieille n’était pas très matinale ; elle était sûrement la moins matinale du village. Il faisait grand jour depuis un moment lorsqu’elle venait ouvrir la porte de ma chambre car on m’enfermait à clef pendant la nuit pour que je ne puisse pas m’évader et un soldat venait voir chaque soir si j’étais présent au domicile.

Si j’eusse voulu m’évader toutes ces précautions ne m’en auraient point empêché mais je n’avais ni carte d’état-major ni boussole. Nul ne s’était jamais évadé parmi les prisonniers du village.

En attendant, le matin, j’arrangeais la litière à l’étable puis on m’appelait pour le frühstück, le morceau du matin. Il y avait du café d’orge non sucré avec un peu de lait, des tartines de pain noir avec de la marmelade, du fromage et quelquefois du beurre ou un œuf.

Puis la vieille m’indiquait le travail et m’envoyait aux champs. Vers dix heures on m’apportait le kaffee-trink. C’était encore du café comme le matin avec deux tartines de marmelade ou de beurre et, lorsque je faisais un travail pénible un œuf avec un tout petit morceau de lard « eierkuchen und speck ». À midi, j’avais de la soupe, rien que de la soupe, faite surtout de pomme de terre et quelquefois de haricots ou de choucroute.

Le soir j’avais des pommes de terre cuites à l’eau et passées à la poêle avec assez souvent de la bonne compote de pommes mais jamais de pain, celui-ci était rare et on le réservait pour les deux petits repas du matin. Mais j’avais des biscuits en complément et je les consommais.

Dès la Toussaint nous quittions les paysans, sauf deux ou trois d’entre nous et nous demeurions à la baraque pendant tout l’hiver. Dès notre retour à la baraque nous formions une grosse équipe de bûcherons et tout l’hiver, par tous les temps, nous passions nos journées dans les bois, sauf les dimanches seulement. Nous partions de grand matin de la baraque, longtemps avant le jour ; nous faisions six à huit kilomètres de marche pour nous rendre à la forêt de Monrepos. Nous passions devant le château du prince de Wied, nous apercevions dans les clairières des groupes de chevreuils qui nous regardaient passer d’un air attentif et curieux et quelquefois nous faisions sortir un sanglier de sa bauge. Cette forêt est magnifique, les arbres y poussent droits et élancés jusqu’à une grande hauteur. Nous dévalions sur des pentes rapides descendant vers la vallée de la Wied et jusqu’en face du vieux Altwied une petite cité moyenâgeuse encore entourée de ses murs et de ses tours, perchée sur un roc et entourée par la rivière. Nous arrivions là par les froids les plus rigoureux et quelquefois la forêt était recouverte d’une épaisse couche de neige. Nous avions alors un mal infini à ne pas glisser sur ces pentes. Pour y venir nous nous emmitouflions de notre mieux, chacun avait eu soin de faire venir de France des tricots et des cache-nez. Nous apportions notre soupe dans des sortes de boîtes métalliques cylindriques. C’était le plus souvent de l’orge, des pommes de terre et des rutabagas.

Le bois mort ne manquait pas dans la forêt et l’un d’entre nous faisait un bon feu de bivouac. Avant l’heure de la soupe il plaçait toute nos boîtes sur la belle braise. Quand la soupe était chaude il nous appelait et nous nous essayions tous en cercle sur des bûches ; nous bavardions, nous riions en passant sur la braise nos biscuits ou nos tranches de pain noir que nous avions piqués au bout des bâtons. C’était un bon moment de détente qui nous faisait oublier le froid terrible dont nous avions souffert le matin en arrivant au bois. Un gentil petit rouge-gorge venait chaque jour nous rejoindre auprès du feu où il picorait les miettes de pain. Il s’était familiarisé avec nous et venait jusque sur les genoux de certains d’entre nous mais un camarade ayant fait sur lui un geste agressif il perdit dès lors la confiance qu’il nous avait jusqu’à ce jour témoignée.

Ce gracieux petit être était pour moi, chaque fois que je le voyais parmi nous, l’occasion d’une douce joie et je pensais en moi-même : Joli petit oiseau de Dieu qui aime les prisonniers tu nous apportes du réconfort, dans notre terre à terre si triste et si monotone tu nous apportes le sentiment du beau et de l’exquise délicatesse d’une Providence attentive.

Nous abattions de grands hêtres qui tombaient avec un bruit prolongé qu’amplifiait l’écho de la profonde vallée. Puis, après avoir coupé les branches, nous sciions le tronc en rondins d’un mètre de longueur. Lorsque ces rondins étaient trop gros nous les fendions en plusieurs morceaux. Avec les branches nous faisions de longs et lourds fagots que nous liions avec du fil de fer.

Sur ces pentes rapides, bien des accidents étaient à redouter. Nous laissions rouler les rondins jusqu’en bas où près du chemin ils étaient rangés en tas réguliers, par stères. Ces rondins faisaient parfois des bonds prodigieux et menaçants ; aussi nous avions soin de crier pour avertir les camarades qui se trouvaient vers le bas lorsque nous commencions à faire rouler des bûches.

Le civil qui dirigeait les travaux n’était pas aimé des prisonniers et plus d’une fois les rondins furent lancés volontairement dans sa direction ; plus d’une fois aussi ces rondins le frôlèrent ou passèrent au-dessus de sa tête mais ils ne l’atteignirent jamais. Par contre, un de nos camarades appelé Bonin, (avant la guerre il était boulanger à La Roche-Sur-Yon, en Vendée) fut atteint en pleine poitrine par un de ces rondins qui avait une force formidable. Il fut renversé et entraîné sur la pente jusqu’au bas ; ayant reçu une multitude de chocs violents il eut les membres brisés et fut ramassé dans un état pitoyable. Aussitôt les Allemands firent venir une voiture d’Altwied et le transportèrent à l’hôpital, je ne sais où. Ce pauvre camarade était si grièvement blessé qu’il mourut probablement des suites de ce terrible accident. Nous n’eûmes jamais plus de nouvelles de lui ; je ne sais pas ce qu’il devint.

Ce Bonin était précisément le camarade que j’avais remplacé chez ma vieille à Rodenbach.

Nous nous efforçâmes d’être plus vigilants et nous n’eûmes pas d’autre accident à déplorer.

Nous ne quittions la forêt, le soir, qu’à la tombée de la nuit ; nous emportions chacun un morceau de bois sec pour le poêle de notre baraque. Notre baraque était éclairée à l’électricité mais, dès 9h. les gardiens éteignaient, nous devions être couchés et il était interdit d’avoir de la lumière après, ne fût-ce qu’une petite bougie. Mais quelques prisonniers tournaient la difficulté lorsqu’ils désiraient faire une bonne partie de belote ou de manille. Nos couchettes, comme partout, étaient superposées mais à Niederbieber il n’y avait que deux étages.

Les joueurs de cartes tendaient des couvertures pour que la lumière de leur bougie ne fût pas aperçue des gardiens puis, couchés sur leurs paillasses, ils jouaient parfois jusqu’à minuit et même plus tard. C’était pour eux un moment d’oublier les ennuis et même la pensée de leur captivité.

Comme cela a lieu en général dans les chambrées il y avait aussi parfois des conversations licencieuses, mais néanmoins, relativement peu.

Un de nos camarades qui ne montait pas avec nous à la forêt mais travaillait chez le Maire de la localité nous annonçait les nouvelles le soir dès que nous arrivions à la baraque. Un soir il nous annonça que Clémenceau, le Tigre, avait pris le pouvoir ; ce fut parmi nous comme une explosion de joie. Nous étions certains que la politique française allait changer. Gare ! gare ! disions-nous.

Nous savions que les Allemands craignaient, redoutaient le père Clémenceau ; c’était pour nous un bon signe car ils étaient certainement bien renseignés sur la valeur personnelle de chacun des hommes politiques les plus en vue. Ils ne craignaient pas Briand par exemple et parlaient de lui comme d’un homme qui leur était sympathique ; aussi je m’étais toujours imaginé qu’il serait un jour convaincu de trahison et je ne fus pas peu surpris de le voir après la guerre collaborer avec Poincaré et diriger la politique extérieure de la France. Pour moi je suis absolument persuadé que si nous avions eu un Briand à la place d’un Clémenceau nous aurions été entièrement battus par les Allemands malgré nos grands généraux et malgré l’intervention américaine. Je suis convaincu que cet homme a été très néfaste à notre pays et que, sous prétexte de maintenir la paix en Europe, il a été dupé par les diplomates allemands et a préparé l’avènement de l’hitlérisme. Je crois encore que si nous avions eu un Clémenceau pour maintenir et organiser la politique de paix, la dictature d’Hitler n’aurait pu triompher en Allemagne et que nous ne serions pas aujourd’hui en aussi triste posture. Je pense qu’à l’occasion du plébiscite de la Sarre en Février prochain une guerre de destruction peut se déclencher tout à coup à la stupeur du monde entier. L’hiver prochain nous réserve probablement de tristes évènements.[1]

Dès que les travaux des champs reprenaient, au printemps, nous cessions nos besognes de bûcherons dans les forêts de Monrepos et d’Altwied pour retourner chez les paysans. Je revins donc chez ma vieille au printemps de 1918.

[1] Jean a mis ses notes au propre en 1934.

Correspondance

9 Septembre 1917 – À mes parents

Chers parents

Je viens de recevoir votre lettre datée du 15 août. Je suis très heureux d’apprendre de mon côté que tous vous êtes en bonne santé à la maison. Pour moi ça va assez bien ; comme je vous l’ai dit je travaille maintenant à la culture ; j’ai un bœuf, une vache, une génisse, un chevreau et deux petits cochons. Je laboure, je fauche ; ça va. Je vous expédie deux photos dans une enveloppe ; j’aime à croire que vous les recevrez bien. Pourriez-vous m’envoyer une paire de sabots bridés et une paire de chaussettes. Je vous enverrai d’autres photos du même spécimen.

Votre fils qui vous aime.

Jean Vergne

20 Août 1917 – Lettre de mon père

Depuis déjà longtemps ils n’ont pas eu de mes nouvelles. La dernière carte reçue était datée du 10 Juin. Ils m’ont écrit plusieurs fois depuis qu’ils ont reçu cette carte et ils en attendent toujours une autre qui ne vient pas. « Pas de nouvelles que je sache au pays et puis avec ma surdité je ne puis causer avec personne et je suis pour ainsi dire isolé du monde. Je songe au temps passé où je vous voyais tous réunis près de moi. Que d’évènements depuis ! Que de malheurs ! Que d’épreuves ! Dieu veuille que sonne bientôt l’heure de ta libération ! »

Mardi 18 Septembre 1917 – Carte de Jeanne Persoud

Elle a reçu ma carte du 22 juillet. A ce moment-là elle était en vacances à Vers avec sa mère. Elles sont venues à Quintenas et sont montées à Montjoux où elles ont trouvé mes parents en bonne santé. Son cousin Michel de Vers a été rapatrié de Suisse. Il va bien ainsi que Louis qui est réformé temporairement. Elle n’a pu monter à La Louvesc comme elle en avait fait le projet, à cause de son cousin Louis qui a tardé à arriver. Elle n’a pu voir Voulouzan François qui est venu à Lyon pendant qu’elles étaient à Vers.

Elle a vu Hervé il y a huit jours. Il était venu voir Marius Seux qui était de passage chez elles avant de remonter au front. Hervé a dû l’accompagner jusqu’à Perrache ; elle ne l’a pas revu depuis mais espère qu’il viendra les voir Dimanche. Elles vont bien et ont un joli temps. Elle me souhaite de grand cœur que je puisse rentrer bientôt en France. Elle a de mes nouvelles par Hervé mais préfère en recevoir de moi-même. Elle a des cousins de Meyzieu qui sont prisonniers et qui ont envoyé souvent de leurs photos. Elle me dit de lui en envoyer si j’en ai, je lui ferais plaisir.

Avec leurs plus affectueux souvenirs et toutes leurs amitiés.

24 Septembre 1917 – Lettre de mon père

Mon Cher Jean,

Nous sommes toujours sans nouvelle de toi depuis ta carte du 10 juin et nous sommes dans la désolation. Depuis si longtemps sans avoir de tes nouvelles. Je t’ai écris je ne sais combien de lettres. Depuis aucune ne revient ni aucune nouvelle peut-être tu ne les reçois pas… Nous ne savons que penser de ce silence. Nous sommes toujours en bonne santé pour le moment. Mais toi mon Cher Jean comme nous serions heureux de recevoir de toi deux mots sur l’état de ta santé car nous sommes dans une cruelle incertitude. Nous prions Dieu qu’il te protège.

Ton père qui t’aime et pense continuellement à toi.

U. Vergne

25 Septembre 1917 – Lettre de Mme Mauvas

Mon cher Ami.

Je vous envoie un colis qui contient : riz, pâtes pour plats et pour potages, lard, chocolat, boîte confiture, tabac, sel. J’espère que vous avez reçu mes derniers colis. J’ai reçu de vous une carte il n’y a pas très longtemps. Voilà l’hiver qui approche, si vous avez besoin de quelque chose de chaud, dites-le moi, je me ferai un plaisir de vous le procurer.

Bonne santé, mon cher ami.

Affectueux souvenir.

J. Mauvas.

28 Septembre 1917 – Lettre de mon père

Ils viennent de recevoir ma lettre du 1er septembre. Ils en ont éprouvé beaucoup de joie car ils n’avaient plus aucune nouvelle depuis ma carte du 10 juin. Il se livrait à mille réflexions à mon sujet. À la réception de ma lettre il arrivait à la maison avec un chargement. Lorsque ma mère lui a dit que j’avais écrit, il a tout laissé, attelage et chargement pour vite venir parcourir ma lettre. Il voit avec plaisir que je suis toujours en bonne santé et que je me trouve maintenant chez une veuve et occupé aux travaux des champs. « Tâche, me dit-il, de faire ton travail pour le mieux. Si elle est contente de toi tu pourras y rester quelque temps. Le travail des champs est assez agréable parce qu’on y trouve une assez grande variété d’occupations. Et puis cela te rappelle un peu le pays. »

Ils sont en bonne santé et donneront de mes dernières nouvelles à Hervé.

1er Octobre 1917 – À mes parents

Je n’ai pas eu de leurs nouvelles depuis quelques jours. Ils me disaient dans leur dernière lettre reçue qu’ils avaient terminé la moisson et qu’ils allaient commencer à battre le blé. Je suis, ainsi que je leur ai déjà écrit employé maintenant aux travaux de la campagne chez une veuve. Il y a maintenant plus d’un mois que j’y suis. Cette semaine j’ai cueilli les pommes. Avec ce travail-là, le temps me semble moins long. Je pense qu’ils ont reçu les photos que je leur ai envoyées. J’en ai envoyé quatre et j’en mets encore deux avec cette lettre. Ils pourront en envoyer une à mon parrain de St Vallier et une à Joseph Mary.

J’en ai adressé une aux cousines Persoud qui m’en avaient demandé. Maintenant le « cafard » a moins prise sur moi depuis que je suis occupé à la campagne et le temps passe plus vite.

La semaine prochaine je vais arracher les pommes de terre et battre du blé. Je suis un peu le patron. Je connais les champs de ma vieille et je m’y rends tout seul, le matin après m’être occupé du bétail. Mais, dans un mois, les travaux des champs seront terminés et je devrai rejoindre mes camarades pour être occupé à d’autres travaux.

Jusqu’à présent j’avais eu à souffrir de la captivité. C’était assez dur. Mais, à présent, avec ce maximum de liberté je n’ai pas trop à me plaindre. Espérons que ce sera l’année prochaine qui sera celle de la libération et de la délivrance.

Je pense bien souvent à eux tous.

9 Octobre 1917 – Lettre de mon père

Ils ont été heureux d’avoir de bonnes nouvelles de moi par ma lettre datée du 1er Septembre et de savoir que je suis à présent occupé aux travaux de la campagne. Mais ils n’avaient pas reçu la carte dont je leur parle et par laquelle je leur avais déjà dit que je faisais partie d’un Commando de culture. Ils sont tous en bonne santé, eux aussi. Ils seront contents de recevoir des photos de moi car il y a déjà bien longtemps qu’ils ne m’ont pas revu.

Hervé est venu les voir le samedi soir et il est reparti le lundi pour reprendre son travail à Lyon.

Ils continuent leur train-train comme ils peuvent. Ils ont fini de vendanger et la récolte est assez bonne. Peut-être pourrai-je venir goûter le vin nouveau. Ils voudraient pouvoir l’espérer.

15 Octobre 1917 – À mes parents

Il y a plus de trois semaines que je n’ai pas eu de leurs nouvelles. Je les espère toujours en bonne santé. Quant à moi je vais très bien. Je suis toujours chez ma bonne vieille. Cette semaine j’ai arraché les pommes de terre. On ne s’entend pas trop mal. L’allemand est une langue difficile mais à force d’entendre les mêmes mots on les sait et on ne les oublie plus. Dans un mois les travaux des champs seront terminés et je rejoindrai les camarades pour être employé avec eux à d’autres occupations.

Vous me direz si vous avez bien reçu les photos que je vous ai envoyées. Vous me direz si le vin nouveau est bon. Il y a aussi de petites vignes le long du Rhin mais pas dans la région où je me trouve.

21 Octobre 1917 – Lettre de mon père

Ils ont été très heureux de recevoir les deux photos que je leur ai envoyées. Ils les ont regardées longtemps et trouvent que j’ai un peu changé avec cette petite moustache qu’ils ne m’avaient jamais vue.

Nous voici bientôt au seuil d’un nouvel hiver. Ils souhaitent bien qu’il soit moins rigoureux que le dernier et que je n’aie pas trop à en souffrir.

Carte 21 Octobre 1917 – À mes parents

Ai reçu leur lettre du 20 août. Je suis surpris qu’ils n’aient pas eu de mes nouvelles depuis ma lettre du 10 Juin car je leur écris toujours chaque semaine. J’espère qu’ils en auront reçu depuis. Il y avait pour moi trois semaines que je n’avais rien reçu d’eux..

26 Octobre 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma carte datée du 15 septembre. Ils m’ont envoyé les sabots et les chaussettes que je leur avais demandés. Ils vont bien.

9 Novembre 1917 – Lettre de mon père

Il espère que j’aurai reçu ses dernières lettres qu’il m’a adressées à la Filiale 222. Ils vont bien.

Hervé est venu les voir pour la Toussaint et il est resté avec eux jusqu’au Dimanche. Ils ont fini de rentrer toutes les récoltes et sont en ce moment en train de semer le blé. Ma mère, Louise et Clotilde et lui m’embrassent bien affectueusement.

22 Novembre 1917 – Carte de Mme Mauvas

Mon cher Ami.

J’ai pu vous expédier hier un colis, je vous en enverrai un autre sous peu. J’espère que vous êtes toujours en bonne santé. J’ai été très heureuse de recevoir vos photographies qui sont très bien réussies, je les ai montrées à ces dames du patronage. Tout le monde vous envoie bien des amitiés. Avez-vous froid ? Ici il a déjà neigé et j’ai pris un gros rhume, c’est mon petit tribut payé à l’hiver et je ne serai pas trop à plaindre si j’en suis quitte pour cela. A bientôt le plaisir de vous lire.

Amitiés.

Jeanne.

28 Novembre 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma lettre du 15 Octobre ainsi que ma carte du 21. Ils vont bien et achèvent d’ensemencer le blé.

11 Décembre 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma lettre du 1er Novembre ainsi que ma carte du 4. Je leur dis que je dois quitter la maison de ma patronne et ils pensent que je vais le regretter car j’y avais certainement plus de bien-être et plus de liberté. Peut-être vais-je changer d’adresse, pensent-ils, mais ils espèrent qu’on me fera suivre tous leurs envois.

Ils ont bien reçu les 6 photos que je leur ai envoyées. Ils ont eu une bonne récolte de vin cette année et ils espèrent bien que bien que j’en goûterai cette fois-ci car cette guerre prendra bien fin un jour.

Comme à presque chacune de ses lettres il m’invite à prendre mon sort en patience en attendant cette libération tant désirée.

Ma mère, Louise et Clotilde m’embrassent bien affectueusement.