1533 – Un procès pas ordinaire

En 1533, le seigneur de Brézenaud, Joachim de Chambord, est traduit devant la justice, accusé de protestantisme.

Grâce à l’Atelier d’Histoire et de Généalogie de Roiffieux (une des sections de l’ARAM) nous pouvons connaître le déroulement de ce procès.

L’affaire concerne des habitants de la région et notamment d’Annonay où le protestantisme s’est développé très tôt et très largement. Joachim de Chambord est Seigneur de Brézenaud mais il a aussi une maison à Annonay, dans l’enceinte du château. Nous savons peu de choses sur ce gentilhomme local cependant son procès est riche d’enseignements sur les habitants du Vivarais au début du XVIe siècle et sur le bouillonnement intellectuel et religieux qui l’anime.

Ceux qui voudront approfondir leurs connaissances pourront se procurer le cahier Procès en 1533 des Luthériens du bassin d’Annonay, édité en 2017 par Mémoire d’Ardèche et Temps Présent.

Le procès de Joachim de Chambord imaginé par Pierre Barbe

Gérard Betton, chroniqueur en langue occitane au Réveil du Vivarais

Gérard Betton — Parlarem en Vivarés

Les articles que Gérard Betton, spécialiste du patois, consacre au procès dans Le Réveil du Vivarais sont passionnants. Grâce à son aimable autorisation nous pouvons vous les proposer ici. Ils sont présentés dans les deux langues ; ceux qui maîtrisent le patois pourront ainsi les lire avec des mots probablement proches de ceux prononcés par les Quintenassiens du XVIe siècle.

Gérard Betton signe ses articles de son pseudonyme “Lo Revessin”, à prononcer “lou revessi”, qui signifie un petit oiseau vif ; surnom affectueux que lui donnait son père.

Professeur de Français en retraite, passionné par les mots, leur sens et leur prononciation, Gérard Betton pratique l’occitan tous les jours. Il prend plaisir à utiliser une langue dans laquelle on a bien souvent interdit aux enfants de s’exprimer au début du XXe siècle. Au sein de l’association Parlarem en Vivarés, il milite pour que perdure l’occitan du Nord-Vivarais : publication de livres, conférences, initiations dans les établissements scolaires, etc.

Quintenas et les premiers Luthériens

Le titre de l’une de nos dernières publications Procès en 1533 des Luthériens du Bassin d’Annonay est à prendre au sens strict. Ces réformés vivarois du tout début de la Réforme sont bien des luthériens et non des calvinistes qui leur succéderont ensuite. Les évènements et les personnes qui marquent cette présence précoce ne se réduisent pas au seul Annonay. Ils concernent tout le bassin économique et social de ladite ville. Si Annonay est le centre il y a plusieurs épicentres, dont Quintenas. C’est ce que montrent les documents qui ont été publiés après avoir été transcrits puis traduits.

L’accusé principal du procès est le noble Joachin de Chambord, seigneur de la maison forte de Brézenaud, à Quintenas. Sa famille ne détient cette place de la famille de la Bastie que depuis peu, vraisemblablement par mariage. Elle la transmettra peu après à une autre famille celle des de Saillans, toujours par mariage. Les procédures judiciaires de l’époque ne permettent pas d’avoir beaucoup d’informations sur l’état civil des accusés, même si elles sont plus évoluées qu’on aurait pu le penser. On sait donc peu de choses sur ce Joachin, sinon que c’est un ancien militaire, reconverti dans le commerce  et dont la santé déjà fragile a été aggravée par la détention. Il a été marié, a eu des enfants, mais on ne sait s’ils sont encore vivants en 1533, sauf une fille Anne, qui transmettra Brézenaud. Il sait lire et écrire puisqu’il porte des livres interdits ou demande sa libération à l’archevêque de Vienne. Du militaire il a conservé le courage, sinon l’agressivité, pour affirmer ses convictions. Du commerçant il a acquis l’habilité, voire la roublardise pour assurer sa défense. Dans le jeu des questions-réponses il est assez adroit pour retourner les accusations. Ce mélange de violence et de dialectique est d’ailleurs une caractéristique de l’époque où l’on se bat et où on débat avec vigueur, suivant les moments, qui peuvent se succéder rapidement. Il est très actif dans les diverses  manifestations publiques où s’affichent les adhésions aux thèses de Luther.

Pour autant il ne se conçoit pas comme un hérétique, mais comme un vrai chrétien  qui ramène le catholicisme à la pureté de ses origines.

Il doit faire partie des nobles les plus puissants de la région car en plus de Brézenaud il possède une maison dans l’enceinte même du château d’Annonay, qu’il devra vendre pour payer la forte amende à laquelle il a été condamné. Son statut de noble lui a permis d’exiger une copie des interrogatoires de son procès pour pouvoir assurer sa défense. Le dossier a été conservé dans la famille, et par le jeu des alliances a fini par rejoindre les archives du Plantier (ndlr Saint-Alban-d’Ay). C’est là qu’il a été retrouvé près de 500 ans après, pour notre plus grand bonheur. Cette double appartenance  à Annonay et à une paroisse voisine n’a rien d’exceptionnel. D’autres familles comme les de Gurin, seigneurs du Matré ou les Arnaud seigneurs  de Savas, toutes acquises à la Réforme, ont aussi leur pied à terre à Annonay. La maison forte de Brézenaud, bâtie à l’écart est pratique pour s’y réfugier en cas de danger. C’est ainsi que le recteur des écoles d’Annonay, Antoine Jonas, a pu y être placé à l’abri pour se faire oublier. L’initiateur de la Réforme à Annonay lui-même, Etienne Reynier, a fréquenté Brézenaud avant d’être condamné et brûlé vif.

Ce ne sont pas seulement des hommes de Quintenas qui sont cités dans le procès mais aussi des lieux de Quintenas même ou très proches. Ainsi d’autres demeures de nobles locaux, comme Brénieux, Lothoire, Munas, sont évoqués comme des lieux de rencontres où peuvent être débattues les nouvelles idées religieuses. Les liens de parenté entre ces familles nobles favorisent les échanges sans pour autant les adoucir. Un autre type de lieu privilégié ce sont les édifices religieux. Bien que proche d’Annonay, Quintenas comporte alors un archiprêtré et un prieuré.

Cela peut provoquer une affluence de religieux qui vont échanger entre eux ou être pris à partie par des laïcs convertis aux idées de la Réforme.

Ainsi se déroule une scène cocasse lorsque des prêtres viennent chercher les saintes huiles à Quintenas auprès de leur archiprêtre. Ces huiles saintes font l’objet d’un trafic financier car il faut les racheter à l’évêché et les facturer lors de l’administration de plusieurs sacrements.On a trop réduit la critique de la prévarication aux seules indulgences. C’est un ensemble beaucoup plus vaste de pressions financières qui était en question. Il est vrai que le nombre de prêtres à l’époque était important et qu’il fallait assurer leur subsistance. D’autres scènes se passent à l’église de Saint-Romain d’Ay lors du baptême d’une nouvelle cloche ou lors d’un pèlerinage à une chapelle vouée à un saint local. Plusieurs noms de religieux sont ainsi cités comme desservants de ces lieux de culte. Enfin un dernier lieu mérite d’être pris en compte ce sont les auberges. Là encore les gens se rencontrent, mangent ensemble et les discussions se déplacent rapidement vers les questions brûlantes de la société contemporaine. Cela n’empêche pas les convives de bien manger et de bien boire, voire de raconter des paillardises car les luthériens, contrairement aux calvinistes ne sont pas puritains sur le plan du langage ou de la morale.

On retrouve tous ces éléments dans notre publication du dossier du procès et bien d’autres. Ils nécessitent une lecture attentive et patiente mais très enrichissante tant sur un plan général que sur un plan local. Rien ne peut remplacer en histoire la confrontation aux documents eux-mêmes.

Pour l’atelier d’histoire locale de l’ARAM
Michel Barbe

Procès contra los promeirs uganauds

Une très importante découverte historique vient d’être publiée en 2017, au mois d’octobre, par « Mémoire d’Ardèche et Temps Présent » (M.A.T.P.). Il s’agit du texte d’un procès contre les premiers protestants d’Annonay, procès qui eut lieu, en 1533, en ville, à l’auberge de « l’Ecu du Lys », en plein centre historique d’Annonay, vers ce qui est aujourd’hui la place de la Liberté.

Ces documents dormaient, comme dans les contes, dans une malle d’un ancien château des environs (« Le Plantier », commune de Saint-Alban d’Ay, en limite de Saint-Romain d’Ay). C’est un groupe de Roiffieux, « l’Atelier d’Histoire et de Généalogie », section de l’ARAM qui le mit à jour, l’étudia, en fit la traduction (le document parfois difficile à lire est en latin) et en assura la publication.

L’année passée cela faisait 500 ans qu’en 1517, le 31 octobre, le moine Luther avait présenté ses quatre vingt quinze thèses qui furent, dit-on, affichées sur les portes de l’église de Wittemberg. Sa rupture avec l’Église catholique fut complète en 1521 mais ses idées faisaient leur chemin. Et à cette époque les idées se répandaient plus vite que l’on imagine aujourd’hui et elles atteignirent le Haut-Vivarais, Annonay où semble-t-il existait une curiosité intellectuelle assez forte. Si bien que quelques années plus tard on trouve à Annonay déjà de nombreux partisans de ces idées. Tous n’étaient certainement pas prêts à devenir hérétiques mais il semble qu’à l’époque une forte volonté de réforme pour améliorer l’Église existait et les discussions étaient animées sur ces besoins de réforme.

Un foyer de ces discussions était le couvent des frères franciscains qui se trouvait aux Cordeliers et les discussions eurent même lieu dans les cellules des moines. Un certain Pierre Joubert était gardien du couvent et des réunions se firent dans sa chambre.

Parfois les esprits s’échauffent et certains vont frapper si violemment aux portes du couvent qu’elles en sont endommagées. L’événement est raconté à maintes reprises par les témoins du procès. D’ailleurs celui qui introduisit la Réforme à Annonay est un moine cordelier Etienne Reynier qui fut condamné et brûlé en 1530.

Una descoverta istorica mai qu’importanta ven d’èsser publiaa en 2017, au mes d’otòbre, per M.A.T.P. « Memòri d’Ardecha e Temps Present ». S’agís dau texte d’un procès contra los promeirs uganauds d’Anonai, procès que se tenguèt en vila, a l’auberja de « l’Ecu du Lys », aquí onte se tròva lo centre istoric de la vila, çò qu’es encuei la plaça de la Libertat, en 1533.

Aqueles documents dermian, coma dins un conte dau temps passat, dins una mala d’un vielh chastel daus environs (« Le Plantier », comuna de Sent Auban, limita d’ès Sant Roman). E qu’es lo grope d’ès Refuòc « Atalhier d’Istòria e de Genealogia » de l’ARAM que los trovèt e ne’n faguèt l’estuda, la traduccion (lo document, pas totjorn comòde a legir, es en latin) e n’assurèt la publicacion.

Se ne’n parlèt l’an passat, qu’aquò fasiá 500 ans, qu’en 1517, lo 31 d’octòbre, lo monje Luther presentèt sas nonanta cinc tesis que, se dis, fuguèran afichaas sus las pòrtas de la glhèisa de Wittemberg. Sa ruptura daube la Glhèisa catolica fuguèt completa en 1521. Sas idèias fasián de chamin e a n’aquel temps las informacions anavan plus vite que l’òm pensa encuei e doncas aquelas idèias trauchèran en Vivarés de Naut, ès Anonai, onte sembla i aviá una curiositat intellectuala pro fòrta. Aquò fai que quauques ans après, a Anonai, se tròvan dejà de nombrós partisans d’aquelas idèias. I aviá a l’epòca una volontat fòrta de reformar e melhorar lo fonccionament de la Glhèisa catolica, mas si tots èran per assurat pas promptes a devenir eretics, las discussions èran animaas sus lo besonh de refòrmas.

Un foier d’aquelas discussions èra lo covent daus fraires franciscans que se trovava aus Cordeliers, las discussions se fasián mesme dins las cellulas daus monjes. Un Peire Jobert èra gardian dau covent e de reünions se faguèran dins sa chambra.

De còps las tèstas s’eschaufan e n’i a que van pichar a las pòrtas dau covent, talament que las esclapèran. L’aventura es contaa mai d’un còp per quasi tots aqueles que venon raportar au procès. Fau dire qu’aquel qu’aduguèt la Refòrma ès Anonai qu’es un monje cordelier Esteve Reinier que fuguèt condamnat e brulat en 1530.

L’exécution de Reynier montre bien la gravité de la situation et les risques encourus par les accusés. L’accusé principal est Joachim de Chambord, seigneur de Brézenaud à Quintenas.

Un certain maître Antoine Jonas, recteur des écoles élémentaires d’Annonay, accusé d’être favorable aux idées nouvelles est arrêté par les officiers de l’archevêque de Vienne et enfermé chez Pierre Dumas, prêtre. Nombreux sont les témoignages au procès qui rapportent que Chambord est à la tête de ceux qui veulent le libérer. Il mène un soulèvement populaire aidé par un nommé Baranat, dit « le canonnier », envoyé par le vice-bailli de la ville pour délivrer Jonas et c’est tout un tapage dans la nuit. Qui est vraiment l’instigateur du mouvement ? Chambord, luthérien, qui veut délivrer son ami Jonas ou le représentant du pouvoir politique, le seigneur d’Annonay ? Comment en savoir davantage ?

Ce Jonas fut libéré, mais on apprend un peu plus loin qu’il passa cependant quelque temps dans les prisons de Vienne. Il s’en tira plutôt bien et à son retour fut reçu par Chambord lui-même.

Pour revenir sur ce qui se passait au couvent des Cordeliers (nous en avons déjà parlé la semaine dernière) un autre témoin raconte qu’il vit à l’entrée du couvent, où se trouvait le seigneur de Brézenaud, une foule importante parmi laquelle certains étaient armés ! La porte basse du couvent avait été endommagée ainsi que celles des cellules des moines et même celle de l’église. Des religieux avaient été maltraités et l’un d’eux entraîné au-dehors jusque sur les bords de la Deûme où on voulait le noyer. Les témoignages dont nous disposons sont à charge dans le procès, il faut peut-être être prudent quant à leur interprétation.

Mais les idées nouvelles se répandent largement, ce procès nous en apporte le témoignage. Des discussions ont lieu dans des auberges à Annonay à « l’écu de France » où l’on voit souvent Chambord et ses amis tels que les seigneurs de Brénieux et de Munas. Mais ces deux-là sont prudents, s’ils ont bien participé au repas, ils déclarent au procès qu’ils n’étaient pas d’accords avec les idées de Chambord…ils auraient voulu le faire taire et s’en aller ! Pourtant le seigneur de Munas est d’accord pour reconnaître que la dîme payée à l’église serait bien mieux directement distribuée aux pauvres. Il propose avec l’argent de la dîme de faire préparer du pain qui serait distribué aux pauvres.

L’execucion de Reinier fai bien veire que las veiaas èran seriosas e que los accusats risquavan gròs. Lo principau accusat es Joachim de Chambòrd, senher de Bresenaud a Quintenas.

Un mestre Toine Jònas rector de las escòlas elementaras d’Anonai, accusat d’èsser favorable a las idèias novelas es arrestat per los oficièrs de l’archevesque de Viena e ensarrat a cò de Peire Dumas, prestre. Los temoenhs au procès, dison, nombrós, que Chambòrd es a l’origina dau movament d’aqueles que lo vòlon liberar. Se pòrta a la tèsta d’un soslevament populari, aidat d’un nomat Baranat, dit lo « canonièr », mandat per lo vice bailli de la vila per deslivrar Jònas e aquò fasiá ben de bocan dins la nueit. Quau èra a la manòvra ? Chambòrd, luterian, que voliá liberar son amic Jònas ? O lo representent dau pover politic, lo senher d’Anonai ? Seriá interessant de ne’n saver un pauc mai.

Aquel jorn Jònas fuguèt liberat. L’òm apren un pauc mai luent que Jònas passèt pasmens quauque temps dins las presons de Viena. Sembla que se’n tirèt pas tròp mau e qu’a son retorn fuguèt reçeuput per Chambòrd en persona.

Per tornar sus çò que se passava au covent daus Cordeliers (n’avem parlat la setmana passaa) un autre temoenh raconta que veguèt dins l’intraa dau covent, onte èra lo senher de Bresenaud, una quantitat de monde e n’i a qu’èran armats ! Avián petafinat la pòrta bassa dau covent e mai las pòrtas de las cellulas daus monges, sens parlar de la pòrta de la glhèisa que valiá pas melhs. Avián mesme un pauc mautractats de religiós e un fuguèt trainat defòra josca en riva de Dèuma, onte lo volián neiar. Chau dire qu’avem aquí de temonhatges per charjar un accusat, fau benlèu èsser prudent dins l’interpretacion.

Mas las idèias novelas corron verament lo país, ne’n siem informats dins lo procès. De discussions se passan dins las auberjas, a Anonai a « l’écu de France » onte se tròvan mai d’un còp Chambòrd e sos amics coma los senhers de Breniu e de Munas. Mas aqueles dos son prudents e si an bien participat au repas, dison, au procès, qu’èran pas d’acòrds daube las idèias de Chambòrd…que volián mesme lo faire quesar e se’n anar ! Lo senher de Munas pasmens es d’acòrd per dire que la « deima », aqueste impòst paiat a la glhèisa, seriá tant melhor distribuat aus paures. Propausa, daube los sòus de la deima, de faire preparar de pan que seriá distribuat aus paures.

Annonay semble à l’époque être un centre d’activités important, son influence est large et les idées nouvelles font leur chemin. A Boucieu-le-Roi c’est aussi à l’auberge qu’ont lieu certains repas où l’on débat de ces idées condamnables. Des rencontres ont lieu aussi dans les églises (Saint-Romain-d’Ay, Quintenas, Ardoix, Annonay…) et surtout dans des lieux privés comme à Quintenas : Brézenaud, bien sûr, mais aussi à Saint-Romain-d’Ay : Brénieux. A Saint-Clair, c’est à Chazeaux où disent des témoins, on avait mangé de la viande un samedi de carême et de nuit ! Encore à Bourg-Argental, Vanosc (Gerlande), Riotord (Clavas où Chambord était soigné) et bien sûr à Annonay.

En 1533 Annonay dépendait du diocèse de Vienne car il y avait alors trois diocèses pour ce qui est devenu le département de l’Ardèche. Au nord donc Vienne, Valence pour ce qui est aujourd’hui la partie centrale de l’Ardèche, comme les Boutières, et Viviers pour le sud. A Vienne résidait un archevêque et ce poste était semble-t-il gratifiant à tel point que les titulaires du poste étaient de grands seigneurs qui n’y résidaient pas et donc ne s’occupaient guère de leur diocèse. C’est peut-être la raison pour laquelle les contestataires étaient assez tranquilles et agissaient à leur aise comme cela se passait à Annonay.

Mais en 1528 Pierre Palmier est nommé nouvel archevêque de Vienne, son père Jean est un proche de François Ier. Cet archevêque va prendre son poste très au sérieux et il s’aperçoit que son diocèse est peut-être un peu à l’abandon. En 1530 il va réunir un synode diocésain.

C’est à partir de ce moment qu’une forte répression va s’abattre sur la ville d’Annonay où trop nombreux sont ceux qui s’intéressent aux idées nouvelles de Luther… C’est justement en 1530 que fut exécuté sur le bûcher Pierre Reynier. L’instruction du procès de Joachim de Chambord, seigneur de Brézenaud, principal accusé de 1533, avait déjà commencée. Et lui aussi risquait d’être brûlé en place publique…

Mais nous ne connaîtrons pas l’issue de ce procès car les documents font défaut.

Anonai sembla bien a l’epòca èsser un centre d’activitats important, son influença vai pro luent e las idèias novelas fan lhur chamin. A Bocieu lo Rei, a l’auberja, i a mai de repàs onte se parla d’aquelas idèias que son a condamnar. De rencontres se fan sovent dins de glhèisas (Sant Roman, Quintenas, Ardois, Anonai…) e sustot dins d’endreits privats, a Quintenas : Bresenaud per assurat, coma a Sant Roman : Breniu. Es Sant Clar : Chasau (Chazeaux)onte avián minjat de vianda un sande de carema e de nueit ! E mai es lo Borg, Vanòsc (Gerlanda), Riòtord (Clavas onte Chambòrd se fasiá sonhar) e d’assurat Anonai.

En 1533 Anonai despendiá dau diocesi de Viena (i aviá tres diocesis per lo territòri qu’es devengut lo departament d’Ardecha : Viena doncas per lo Nòrd, Valença per çò qu’es encuei l’Ardecha centrala coma las Botèiras, e Viviers per lo sud). A Viena i aviá un Archavesque. E sembla que la plaça èra pro bona, talament que los titularis dau pòste s’ocupavan gaire dau diocesi, qu’èra de grands senhers que lhi demoravan pas. Qu’es benlèu un pauc per aquò que los contestataris èran pro tranquilles e ne’n fasián a lhur aise, coma quò se passava ès Anonai.

Mas en 1528 un novèl archavesque es nomat a Viena, qu’es Pèire Palmier. Son paire Joan es un pròche de Francés I°, lo rei de França. Aqueste archavesque prenguèt son travalh de biais e s’aperceguèt que son diocesi èra benlèu un pauc a l’abandon. En 1530 reüniguèt un sinòdi diòcesan.

E a partir d’aquel moment una fòrta repression tombèt sus la vila d’Anonai onte tròp de monde s’interessavan a las idèias novelas de Luther.. Fau se rapelar qu’en 1530 fuguèt brutlat Esteve Reinier. L’instruccion dau dorsier dau procès de Joachim de Chambòrd, senher de Bresenaud, principau accusat de 1533, aviá dejà començaa. E risquava mai d’èsser brutlat en plaça publica…

Mas saurem pas la fin dau procès que los documents mancan.

Dans les documents retrouvés, après les auditions des témoins dont nous avons beaucoup parlé, nous possédons encore l’interrogatoire de l’accusé principal ainsi que le réquisitoire du procureur. Chambord est très en retrait dans sa déposition personnelle et n’apparaît plus comme le meneur qu’il semble être dans la première partie du procès, il n’a sûrement pas une vocation de martyr. Le procureur dans son réquisitoire demande qu’il soit « proclamé hérétique » et condamné pour « servir d’exemple ». Il y a bien de quoi faire peur à cette époque.

Parmi les documents encore : un brouillon de la plaidoirie d’un avocat… mais nous ne connaissons pas la sentence finale. Près de cinquante ans plus tard, en 1580, Théodore de Bèze, dans son ouvrage sur les Églises réformées, nous dit quand il parle de « Nonai »( !), que Jonas s’en tira bien mais que vingt-cinq personnes furent arrêtées et enfermées dans les prisons de Vienne. Et si quelques-unes moururent de « langueur » et de mauvais traitements, d’autres s’en tirèrent bien mais durent payer de fortes amendes. Ce fut sûrement le cas de Chambord. Un autre document trouvé au château du Plantier montre qu’en 1534 (un an après le procès donc) Chambord vend une maison située dans l’enclos du fort du château d’Annonay. Il était donc toujours en vie et peut-être avait-il besoin d’argent pour payer les amendes !

Pour finir, une lecture « occitane » de ces documents est assez infructueuse. Souvent lorsque les témoins s’expriment, c’est en langue vulgaire, plus de latin alors mais c’est du français que nous lisons. Pas de trace de la langue occitane. Nous savons cependant qu’en 1533 la langue occitane était couramment pratiquée ici et surtout que tout le monde la comprenait… Un passage fait allusion à la protection judiciaire du Parlement de Toulouse. Peut-être peut-on avancer l’hypothèse que notre territoire, qui fut si longtemps tourné vers l’Occitanie, n’était pas encore complètement intégré au royaume de France.

Enfin, il est bien connu que, très longtemps, les noms propres ne furent guère fixés dans les documents écrits (civilisation orale), le nom de Chambord nous le trouvons aussi écrit : « Chambou » ou « Chambon ». Les copistes avaient, c’est bien sûr, du mal à faire abstraction des prononciations occitanes qu’ils entendaient quotidiennement avec les gens du pays.

Dins los documents retrovats, après las audicions daus temoenhs que n’avem beucòp parlat, avem encara l’interrogatòri de l’accusat principau e lo requisitòri dau procuraire. Chambòrd ne’n rabat beucòp dins sa deposicion personala e fai pas plus figura de menaire coma dins la promèira partiá dau procès, a surament pas una vocacion de martire. Lo procuraire, ilo, demanda pasmens que sise « proclamat eretic » e condamnat per « servir d’exemple ». De que faire paur a-n-aquela epòca.

Avem encara un brolhon de la plaidariá d’un avocat… mas coneissem pas la sentença finala. Teodòre de Bèze nos dis, quasi cinquanta ans après, en 1580, dins son liure sus las Glhèisas reformaas quora parla de « Nonai » ( !), que Jonàs se’n tirèt bien mas que vint e cinc personas fuguèran arrestaas e ensarraas dins las prisons de Viena e que si quauquas unas moriguèran de « languison » e de mauvès tractaments, d’autres se’n tirèran bien mas paièran de fòrtas amendas. Aquò fuguèt surament lo cas de Chambòrd. Un autre document trovat au chatèl dau Plantier montra qu’en 1534 (un an après lo procès doncas) Chambòrd vend una maison situaa dins l’enclaus dau fòrt dau chatèl d’Anonai. Èra doncas encara en viá e aviá benlèu besonh de sòus per paiar las amendas !

Per achabar, una lectura « occitana » d’aqueles documents adus pas grand veiàs. Sovent, quand los temoenhs s’expriman, coma lo fan en linga vulgara, s’arresta lo latin e legissem de francés. Pas de traça de linga occitana. Pasmens savem qu’ en 1533 la linga occitana èra corament practicaa aicí e surtot que tot lo monde la compreniá… A un moment allusion es faita a la proteccion judiciara dau Parlament de Tolosa. Se pòt benlèu avançar l’ipotesi que nòstre territòri que fuguèt de temps e de temps virat dau costat d’Occitània èra pas encara franc integrat au reiaume de França.

Enfin savem que de temps, los noms de personas fuguèran gaire fixats dins los documents escrits (civilisacion orala), lo nom de Chambòrd lo trovem mai escrit « Chambou » o « Chambon ». Los copistas avián d’assurat de mau de se despeitar de las prononciacions occitanas qu’auvissian tots los jorns daube lo monde dau país.

Gérard Betton
Parlarem en Vivarés

Chronique parue dans Le Réveil du Vivarais

Les témoins du procès

Les témoins cités dans le document sont essentiellement des ecclésiastiques et des notables locaux. Tous témoignent à charge contre Joachim de Chambord, certains pour se dédouaner d’accusations dont ils sont eux-mêmes l’objet. Un seul habitant de Quintenas, dont on ne connaît pas le statut social, est mentionné : Pierre Coupier.

Témoins Nature des accusations portées par les témoins
Charles DUPONT
seigneur de Munas, 57 ans
dîmes à distribuer aux pauvres, opinion favorable au frère Etienne Reynier, représentation des saints assimilée à de l’idolâtrie, refus du Purgatoire, partage des opinions de Maître Nicolas, précepteur des enfants des seigneurs de Tournon, sur la prédestination et le libre arbitre – lui-même accusé par Antoine Harenc d’avoir participé à ces conversations, il dit ne pas les avoir supportées
Guillaume TYVOLEY
seigneur de Brénieux, 72 ans
hébergement de Reynier à Brézenaud, fréquentation de Jonas, serait à l’origine du soulèvement pour la libération de Jonas, refus de la protection des saints et de l’idolâtrie ainsi que des offrandes, refus du Purgatoire, dénonciation de la mauvaise vie et du vice des ecclésiastiques – fait un récit détaillé des réflexions de Joachim de Chambord sur les huiles saintes à Quintenas
Jean GOUIN
seigneur de Lhotoire, 40 ans
hommage à Reynier, hommage à Jonas, idôlatrie des saints, indulgences, refus de prière pour ses père et mère défunts – témoignage recueilli à Lhotoire, en présence de Marcelin Balajay, par Jean de la Noix, juge et official
Antoine TRÉMOLET
curé de Quintenas, 40 ans
thèses fausses sur le purgatoire et la vénération des saints, fait le récit détaillé de propos tenus à Quintenas par Joachim de Chambord sur le saint chrême
Blaise DELOLME
prêtre de Quintenas, 70 ans
dit Joachim de Chambord connu pour hérésie à Quintenas, il l’a entendu vouloir transformer les dîmes en aumônes
Marcelin BALAJAY
prêtre de Quintenas, 30 ans
refus du purgatoire
Pierre COUPIER
habitant de Quintenas, 50 ans
rapporte les propos de Joachim de Chambord sur les saints

Les propriétaires de Brézenaud

Voilà plus d’un millénaire que Brézenaud est une propriété connue. Il en est déjà fait mention en l’an 1003 ; elle fait alors partie d’une donation faite à Albert d’Ay, comte de Saint-Alban.

On sait que Brézenaud, rattaché à la paroisse de Quintenas, bénéficiait de la qualification de bien noble. Nous ne savons pas comment mais il se pourrait que ce soit par un mariage ayant permis d’attribuer l’immunité féodale à ce bien dont les propriétaires étaient de riches paysans. Leur nom, Brézenaud, ne s’est pas perpétué au-delà du milieu du XVe siècle.

Cette ancienne maison forte, aujourd’hui composée d’un bâtiment quadrangulaire à trois étages, flanqué de dépendances presque égales au corps de logis forme un grand ensemble qui fut transformé en exploitation agricole. Elle a appartenu à nombre de familles dont les noms sont liés à l’histoire de notre région.

Familles Périodes Propriétaires connus Commentaires
d’AY XIe siècle
  • Albert
Brézenaud est mentionné en 1003 dans la donation faite par le comte de Forez à Albert d’Ay.
BEAUDINÉ
ROUSSILLON
BRESSIEU
TOURNON
XIIe-XIIIe-XIVe Les familles détentrices de la Seigneurie d’Ay se succèdent, Brézenaud fait alternativement partie de leurs possessions.
BRÉZENAUD XIVe siècle
  • Guillaume, Michel et Jean (en 1332)
  • Bert et Barthélemy (en 1371)
  • Guillaume et Jean (en 1389)
  • Guillaume et Jean (en 1407)
  • Pierre et Guillaume (en 1449)
Les Tournon sont toujours détenteurs de la Seigneurie d’Ay.

Une famille de riches paysans qui appartiennent à la Confrérie du St-Esprit de Quintenas réside à Brézenaud.

de LA BASTIE XVe siècle
  • Arrige (en 1472)
  • Aymar (en 1480)
  • Isabelle
Pas d’information sur l’apparition des La Bastie à Brézenaud.

Isabelle de La Bastie était la fille ou la sœur d’Aymar.

de CHAMBORD XVe-XVIe
  • Jean (en 1484 et 1516)
  • Joachim (en 1519 et 1536)
  • Anne (en 1540 et 1548)
Jean de Chambord est Seigneur de Brézenaud par mariage avec Isabelle de La Bastie.
de SAILLANS XVIe siècle
  • Jean (en 1540 et 1566)
Jean de Saillans est Seigneur de Brézenaud par mariage avec Anne de Chambord.
Du PELOUX XVIe-XVIIe
  • Charles (en 1584)
  • Nicolas (en 1691)
Charles Du Peloux a pu avoir Brézenaud par succession de sa première femme, Madeleine de Bayard, dite nièce du Sieur de Brézenaud.
de SAIGNARD XVIIe siècle
  • Antoine, baron de Queyrières († 1695)
  • François et Isabeau, enfants du premier mariage (cités en 1653)
Brézenaud est très probablement acquis par achat à Nicolas Du Peloux ; Antoine de Saignard lui avait déjà acheté La Grangette et Le Marthouret en 1638.
ALLÉON XVIIIe siècle
  • Barthélemy (°1714-†1771)
  • un fils
Barthélemy Alléon achète Brézenaud aux successeurs des barons de Queyrières.

Son fils vend Brézenaud à Barthélemy Fournat.

FOURNAT XVIIIe-XIXe
  • Barthélemy (°1691-†1774)
  • Jean (°1725-†1818)
  • Barthélemy (°1758-†1834)
  • Jean-Barthélemy dit Johanny (°1787-†1834)
  • Gaston (°1816-†1878)
  • Georges (°1865-†1919)
Barthélemy Fournat dit Le Riche ou Milord achète Brézenaud aux Alléon en 1766, puis il le lègue à son neveu Jean Fournat, son fils Barthélemy étant décédé sans descendance.

Jean Fournat reconstruit la maison de Brézenaud en 1776.

Gaston Fournat, sans postérité, lègue à sa 2ème épouse, Amélie Gouin, tout le mobilier de Brézenaud, ensuite la propriété doit revenir à Georges Fournat, fils de son cousin germain Louis.

Georges Fournat, installé à l’étranger, vend Brézenaud à René Ribes.

RIBES XXe-XXIe
  • René (°1860-†1935)
  • Auguste (°1887-†1915)
  • Françoise épouse DELORE
  • Chantal épouse PLANTEVIN
Brézenaud appartient toujours à cette famille à ce jour.