Ce travail de recherche nous est proposé par Bernard Ducol à qui nous adressons nos très sincères remerciements.

Petit-fils de Marius Ducol, fils de Joseph et Monique Ducol et historien, j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans l’enseignement, le Secondaire et le Supérieur, puis j’ai été nommé Chef d’Etablissement avant de rejoindre la Conservation du Patrimoine d’un Institut international.

C’est depuis le Jura que je poursuis aujourd’hui mes travaux de recherches principalement sur la première guerre mondiale : colloques, conférences, publications.

Marius, Louis, Paul, Joseph… Ceux de 14

1914-1918 aurait pu se résumer côté France, à une sinistre comptabilité : 1,7 million de morts, 4,3 millions de blessés ; la moitié de la classe 14 disparue. Mais, c’est bien la Société toute entière qui en est sortie épuisée, et notamment les familles : absence de l’époux, du père, du (des) fils, attente du facteur messager de vie ou de mort, retours difficiles des combattants avec leurs traumatismes, leurs infirmités, la difficulté à reprendre une vie familiale et sociale « normale ». Plus terrible encore, ces plaques funéraires portant les noms de plusieurs fils-frères « morts pour la France ».  Au sein d’un même village, on constate que nombre de mobilisés étaient parents, directs ou indirects, ou le seront par la suite, que la guerre a affecté non seulement les mobilisés, mais également les familles ou apparentés , et enfin que le lien familial entre les mobilisés, est représenté par une « figure pivot ».  En ce qui concerne le cas particulier du « tissu familial Ducol » – famille pris au sens large – apparaît en filigrane la personnalité de Marius Ducol. Autour de lui, ses deux beaux-frères Paul Mouton et Paul Vialette, ses deux futurs beau-frères, Louis Chirol et Joseph Decorme, son cousin germain Marius Descottes, les deux frères de Paul Vialette, Marius et Johanny ; sans oublier Louis Chatron et Marc Pigeon pères de ses futures belle-filles, et enfin Gabriel Géry très indirectement apparenté côté Descottes. Au total, onze tranches de vie semblables à celles de millions de « Poilus » mais qui avec le recul du temps, soulignent bien le fait que la souffrance de la guerre a imprégné, et pour longtemps, la vie des rescapés et celle des familles. Les rescapés du groupe des onze, ne sont pas revenus indemnes ! Comment voudrait-on que, la guerre finie, la vie reprenne comme avant ?  Lors des futurs réunions de familles, qui saura écouter ? qui saura mettre « les mots justes » ? qui croira ? Il sera donc d’un grand intérêt de rajouter plus tard, un chapitre à cette étude. S’il est vrai que derrière chaque grand homme se cache une femme, ne conviendrait-il pas de s’intéresser à celles qui ont  épaulé un époux, un fiancé handicapé, traumatisé, pleuré un mari défunt, et à ces parents qui ont perdu un ou plusieurs enfants. Ce ne serait que justice.  « Nul homme sensé ne peut préférer la guerre à la paix. Car à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils, tandis qu’en temps de paix ce sont les fils qui enterrent leur père »  Hérodote.  Le titre de cette étude deviendra alors : « Eugénie, Léonie, Marie, Clémence… celles de 14 ».

Marius Ducol en Alsace (Août 1914)

Trois du Marthouret, Marius Ducol, Paul Mouton et Louis Chirol

Histoire de Marius

Né en 1886, Marius Ducol, cultivateur et sapeur pompier, après son Service militaire au 3è RI, participe activement à la vie de Quintenas : conseils municipal, paroissial…  En 1914, il a 28 ans et il est fiancé avec Eugénie Crémilleux. Le 2 août, Marius est incorporé au 163ème RI de Nice. Son baptême du feu, il le reçoit en Alsace, dans le Sundgau. Puis ce sont les Vosges – Raon l’Etape, col de la Chipotte – et la Meuse. Son bataillon avance baïonnette au canon. A Raulecourt, le 163ème perd 600 hommes. Au bois de Géréchamp, il se heurte à un réseau de barbelés et les mitrailleuses allemandes fauchent 350 hommes. Marius part ensuite en Belgique – le canal de l’Yser, Ypres, les dunes de Nieuport – avant de regagner, en autobus et en train, la Meuse. De décembre 1914 à septembre 1915, Marius est souvent en première ligne. Le 11 septembre, à Flirey dans la Woëvre, un éclat d’obus l’atteint à l’avant-bras droit. Après plusieurs mois d’hôpital à Nice et à Perpignan et un temps de convalescence au Marthouret, il rejoint Nice. Mais le 7 août 1916, il passe au 217ème RI, de Lyon. Pour Marius, la guerre se poursuit dans les forêts de l’Argonne, entre la Champagne et Verdun : conditions éprouvantes, assauts sanglants… Les Allieux, la forêt de Hesse, le bois de Cheppy, le promontoire de Vauquois où les sapeurs acheminent des explosifs et envoient des gaz dans les galeries souterraines. Début 1917, Marius est au Mort-Homme, sur la rive gauche de la Meuse : cette colline perdra 12m d’altitude du fait des bombardements. Ce sont ensuite les combats de Maisons-de-Champagne, la Main-de-Massiges, la butte de Souain… Le 13 mars, Marius est à nouveau blessé, mais cette fois plus gravement, à la tête, au bras gauche et à une jambe. Il faut le trépaner dans un hôpital de campagne. Son œil gauche est perdu. Il souffre des oreilles et ses poumons ont été brûlés par les gaz. On l’évacue à Chalons-sur-Marne, puis en avril 1917, à Toulouse. La guerre est terminée pour lui. Le 26 août 1917, Marius reçoit la Médaille militaire. Réformé, il rentre au Marthouret. L’année suivante, le 17 mai, il épouse Eugénie Crémilleux. Marie naît en 1919. Marius gardera d’importantes séquelles de ses blessures : les radios attestent en 1933 encore, de la présence d’éclats d’obus. Sa vaillance lui vaut en 1935, la Croix de la Légion d’Honneur. Marius mourra accidentellement, à 54 ans, le 10 février 1941.

Histoire de Louis, le colonial

C’est dans l’Infanterie coloniale, une unité de choc, que Louis Chirol, né en 1894, et donc âgé de 20 ans en 1914, traversera les années de guerre, et tout d’abord au 8ème RIC. Ce régiment de Toulon est composé en partie  de coloniaux, en partie de jeunes de l’Ardèche, du Tarn et de l’Aveyron. Louis le rejoint en décembre 1914, dans l’Aisne,  à la  Main de Massiges. En février 1915, l’artillerie et les mitrailleuses allemandes causent de graves pertes au 8ème RIC : Virginy, Chalons-en-Champagne. Louis continue la guerre en Argonne, avec le 1er RIC à partir de mai 1915 : Marne, Ardennes, Meuse. Deux mois plus tard, il passe au 2ème RIC dans la Marne : au ravin des Houyettes, le 2ème RIC perd 600 hommes. En août, Louis rejoint  le 52ème RIC : Suippes, Souain. Lors de l’offensive allemande de septembre 1915, rudes combats de tranchées, affrontements à la baïonnette, Paul est touché  à l’avant-bras droit et au poumon droit par un éclat d’obus. Après 4 mois d’hôpital, il retrouve son régiment en Champagne, en janvier 1916  Et, en août, le voilà au 41ème RIC , en Artois, en Champagne, dans la Marne et l’Aisne :  Verdun, Seppois, Le Chemin des Dames. Le 41ème littéralement saigné, ayant été dissous,  Louis intègre le 43ème RIC  en Alsace, et dans l’Aisne : le Chemin des Dames, le plateau de Californie, Craonne. Et c’est alors que Louis est blessé, légèrement semble-t-il, une deuxième fois, le 29 juillet 1917. Les combats se poursuivent pour lui, en Champagne. Près de Reims, à Vrigny, le 9 juin 1918, il est blessé une troisième fois : une balle à la cuisse droite.  Début- novembre 1918, Louis est de retour au 43ème qui du fait de l’armistice, est envoyé en Allemagne dans le Palatinat. Il passe brièvement au 1er Génie, puis au 24ème RIC. C’est avec ce régiment que, le 14 juillet 1919, Louis participe au défilé de la Victoire à Paris. Démobilisé le 8 septembre, il  rentre au Marthouret. Sa bravoure lui vaut la Croix de guerre, le Diplôme de la Victoire et la Médaille militaire, et ses blessures une pension à partir de 1921. Le 16 avril 1921, il épouse Léonie Crémilleux, sœur d’Eugénie ; leur premier enfant, Paul, naîtra en 1922. Louis décédera  en 1952, à 57 ans, et Léonie en 1973, à 80 ans.

 

Histoire de Paul, le prisonnier en Saxe

Né en 1881, Paul Mouton est le fils de Jean-Louis et de Marie-Euphrasie Mouton. De 1902 à 1905, il effectue son Service militaire au 55è RI, suivi de deux périodes au 61è RI, en 1909. Et en 1911, il épouse Rosine, la sœur aînée de Marius Ducol. L’année suivante, c’est la naissance de Paulette. Le 11 août 1914, Paul qui a 33 ans, rejoint le 61ème RI. Il n’y reste pas puisque entre septembre et décembre , il passe au 58ème RI,  puis au 141ème RI. Mais, le 20 décembre 1914, Paul est fait prisonnier à Boureuilles, dans la Meuse. On l’envoie en Allemagne : il est interné à Hameln-sur-Weser, en Basse-Saxe. Après quatre ans de captivité, il est rapatrié et arrive à Dunkerque début- janvier 1919.  Démobilisé le 25 février suivant, il rentre au Marthouret. Il y retrouve alors sa femme Rosine, sa fille Paulette, mais également sa 2ème fille, Germaine qu’il ne connaît pas encore puisqu’elle est née en 1915. La 3ème fille,  Jeanne naîtra en 1921. Après le décès de Rosine, survenu en 1927, Paul quitte le Marthouret pour Saint-Victor. Le 28 décembre 1934, il recevra le Diplôme de la Victoire. Paul mourra en 1974, à 93 ans.

Deux de Quintenas, Joseph Decorme et Marius Descottes

Histoire de Joseph, le prisonnier en Bavière

Joseph Decorme, fils de Jean Baptiste et Claire Decorme, naît rue de l’abreuvoir en 1881. Benjamin d’une fratrie de 3, il a connu plusieurs périodes militaires : en 1902, 1903, et 1908, au 61ème RI, et en 1911, au 261ème RI.  En 1914, il a 33 ans : pour lui, la guerre va se résumer à 50 jours de combat et, comme pour Paul Mouton, 4 ans de captivité. Le 12 août 1914, Joseph rejoint le 261è RI, à Privas, et  c’est le départ en train pour la Lorraine. C’est à Buzy-Darmont en Meurthe-et-Moselle que le 24 août, il reçoit son baptême du feu.  Fin-août, le régiment est en Argonne, région de forêts et d’étangs. Début-septembre, c’est la bataille de la Marne. De Dun-sur-Meuse à Commercy, la Meuse est bordée à l’est par les Hauts-de-Meuse. A ses pieds, la plaine de la Woëvre, avec ses étangs et ses forêts  Le 19 septembre, les Allemands franchissent la Meuse et se dirigent vers Verdun. A Mouilly, le combat est effroyable et les Allemands à partir des Hauts-de-Meuse, bombardent la région. Le régiment de Joseph tente d’arrêter l’avancée allemande vers Avocourt ; les compagnies se font hacher sur place par un ennemi supérieur en nombre, laissant 450 hommes sur le terrain et de nombreux prisonniers dont Joseph. Et c’est alors pour lui , le départ vers l’Allemagne :  650 kms en train à partir de Metz vers la Bavière. Le camp de Graffenwohr, entre Nuremberg et la frontière autrichienne, regroupe 10.500 prisonniers, cantonnés dans des baraquements en planches, couverts de carton goudronné. Tous les jours, sauf le dimanche, les prisonniers, sous la garde de vieux soldats bavarois baïonnette au canon, sont employés à des travaux : le matin départ en colonne par quatre, chacun portant un pic ou une pelle. Après quatre ans de captivité Joseph sera libéré le 27 décembre 1918. Il devra attendre le 1 mars 1919 pour être démobilisé et recevra alors, la médaille Interalliée.  Il revient à Quintenas et sept ans plus tard, le 6 avril 1926, il épousera l’autre sœur de Marius Ducol, Clémence. Joseph mourra en 1956, à 75 ans, à Quintenas, et Clémence à Annonay en 1978, à 90 ans.

Histoire de Marius, le boulanger

Marius Descottes, né en 1887, est l’un des 5 enfants de Rosine et de Pierre Descottes  Rosine est une tante de Marius Ducol : les deux Marius sont donc cousins germains. Marius Descottes habite aux Pillats, à Quintenas : il s’est initié, à Lyon, à la boulangerie. En 1914, il a 27 ans. On l’affecte au 158ème RI de Valdahon, dans le Doubs. Le 158ème est positionné dans les Vosges, « aux frontières », pour constituer un premier barrage au col du Bonhomme. Mais c’est en Alsace, près de Saverne qu’a lieu le véritable premier affrontement.. Puis, c’est le col de la Chipotte : les pertes françaises sont importantes. Mais fin-août, l’avancée allemande est stoppée à la trouée de Charmes. En septembre, le 158ème est envoyé dans la Marne : Vitry-le-François…. Après les défaites de Charleroi et de la Meuse, Joffre demande à l’armée de résister. On retrouve le 158ème à Sompuis, au camp de Mailly, à Souain, au Bois-Sabot. Le front se stabilise en Champagne : la guerre des tranchées commence. Le 158ème est alors envoyé en Artois où il se heurte à la cavalerie et aux chasseurs prussiens : Loos, le canal de Douai. Le régiment combat aux côtés des Anglais. Puis c’est le départ pour la Belgique : Ypres, la bataille des Flandres : Mont-Kemmel, moulin de Spanbroke… Au Mont Saint-Eloi, les tranchées sont inondées. A Hooge,  les soldats ont les pieds gelés. Puis c’est le retour en Artois. Le 158ème attaque l’éperon rocheux de Notre-Dame de Lorette : il sera le régiment de Lorette. Et ce sont encore et toujours les tranchées. Puis le 158ème part dans les Vosges : à Badonvillers, près de Toul, le 8 octobre 1915, Marius est blessé à la hanche gauche par un éclat d’obus. Après son hospitalisation, il rejoint le 158ème dans les Vosges, avant de partir pour Verdun, le fort de Vaux, Tahure. Les tranchées ont cédé la place aux trous d’obus où les soldats s’accroupissent. Le 11 juillet 1916, au bois du Chênois, Marius est blessé une seconde fois, à l’épaule droite. Après un séjour en hôpital, il rentre à Quintenas et meurt l’année suivante, en 1917. S’il n’a pas été reconnu « Mort pour la France » par l’Armée, son nom figure cependant sur le Monument aux Morts et dans l’église de Quintenas ; par contre cette mention sera portée sur le caveau familial.

Trois frères dans la tourmente, les Vialette d’Eyguèze

Histoire de Paul, le mégissier

Après son service militaire au 3ème Zouave, en Algérie, de 1903 à 1906, Paul Vialette, né en 1882, rentre à Eyguèze, et épouse Marie Crémilleux, sœur d’Eugénie et de Léonie, du Marthouret : Paul est donc un beau-frère de Marius Ducol  Le couple habite à Annonay : Paul travaille chez Meyzonnier. Il a 32 ans, lorsque la guerre éclate. Comme Joseph Decorme et Paul Mouton, il se voit affecté, au 61ème RI de Privas. La guerre débute pour lui en Lorraine : progression en rangs serrés vers Dieuze sous le feu des mitrailleuses. Le 20 août, le 61ème perd un millier d’hommes. Puis, c’est Lunéville, Bar-le-Duc, Mont-sur-Meurthe enlevé à la baïonnette. Le 61ème se déplace en Champagne : Chalons-en-Champagne, Massiges, Suippes, la butte de Souain.  Partout des bombardements incessants. Le 61ème est ensuite dirigé sur Verdun. Le 20 juin 1916, à la Côte du Poivre, un bombardement allemand de 60 heures, martèle les lignes et retourne les tranchées. Le 22 juin, une nappe épaisse de gaz envahit la vallée de la Meuse ; l’attaque allemande submerge les Français qui accusent d’importantes pertes mais font de nombreux prisonniers. En juillet, la Commission de Réforme de Privas verse Paul dans le Service Auxiliaire pour hypertrophie cardiaque. Neuf mois plus tard, il rejoint le dépôt du 61ème à Privas. Ce retour en Ardèche lui évite un départ à Salonique avec son régiment. En mai 1917, Paul intègre 2 mois durant le 15ème escadron du Train, avant de rejoindre le  1er, puis le  2ème groupe d’aviation,  à Bron. A nouveau malade, le voilà hospitalisé à Dijon, puis en convalescence durant l’été 1917. Ce n’est qu’à la mi-septembre qu’il retourne à Bron où il restera 1 an et demi. Bron était un centre de formation de pilotes et de mécaniciens ; plusieurs constructeurs repliés dans la région lyonnaise y assemblent leurs avions. Le 9 mars 1919, Paul est enfin démobilisé. Mais il meurt 9 mois plus tard à Lyon, des suites, semble-t-il, d’une pleurésie. Marie, son épouse vivra par la suite à Annonay, avec sa sœur Louise.

Histoire de Marius, l’homme de Craonne

Marius a 3 ans de moins que Paul. Né en 1885, il a 29 ans lorsque la guerre éclate. Il est alors, cultivateur à Vernosc. Tout son parcours militaire se déroulera chez les Chasseurs à pieds depuis son service militaire au 24ème  Bataillon de Villefranche-sur-Mer, de 1906 à 1908, puis en 1911 et en 1913.  Le 4 août 1914, Marius est incorporé au 64ème Chasseurs qui part dans la Somme : défenses des ponts, premiers heurts avec les Uhlans. Mais le bataillon doit se retirer : transport en autobus, longue et pénible marche au sud de Péronne sous les tirs allemands ; les blessés et les morts sont nombreux. Sa mission : retarder les Allemands sur l’Oise, à Pont-Sainte-Maxence. En septembre, c’est la Champagne. Le 64ème participe à la bataille de la Marne : victorieux mais squelettique, il a perdu tous ses officiers. A Gonfrecourt, les vagues d’assaut françaises se déplacent sous le feu des mitrailleuses et enlèvent les tranchées allemandes à la baïonnette En février 1915, le 64ème part en Alsace, et y restera 16 mois : le col de la Schlucht, le Klizenstein, Petit Reichacker, Thann. En juillet 1916, c’est le retour dans la Somme.Près de Péronne ; le régiment se lance à l’assaut des tranchées sous les tirs des mitrailleuses et de l’artillerie. De plus, les gaz font de nombreuses victimes. Les pertes françaises sont importantes.  Sailly-Saillisel, les tranchées de Teplitz, des Portes de Fer, du bois de l’Endurance près de Hardecourt-au-bois. Fin-octobre 1916, le bataillon se déplace dans l’Aisne. En avril 1917, Nivelle engage une grande offensive française sur la route Soissons-Craonne : le Chemin des Dames. Le 16, à 6h00, c’est l’assaut en colonnes par deux sous le feu de l’artillerie et à travers les marécages jusqu’au bois de Beaumarais. L’offensive, sur un terrain impossible à l’avancée des troupes, s’avère un échec : le 1er Corps d’Armée auquel appartient le 64ème, perd en quelques minutes 6500 hommes. Le soir, sous d’intense bombardement, il est dirigé vers Craonne. C’est là que Marius est tué le 20 avril 1917. Enseveli à Beaumarais, sur la route de Craonne, il sera transféré par la suite au cimetière militaire de Pontavert.

La brève aventure du soldat Joanny : 22 jours dans les Vosges

Né en 1892, Johanny est le benjamin des garçons Vialette. Lui est cordonnier. En octobre 1913, il est incorporé, à 22 ans, au 75ème RI, à Romans dans la Drôme. Dans la nuit du 5 au 6 août 1914, le 75ème embarque en gare de Romans, pour les Vosges. Le bataillon de Johanny surveille la rive gauche de la Vologne, puis occupe les cols  vosgiens : col du Bonhomme, col de Louchbach, col des Bagenettes, avant de descendre au sud : l’Immerlinskopf, le col de Saales, le col du Hantz. Du 22 au 28 août, l’artillerie lourde allemande pilonne les positions françaises. Le 75ème, et en particulier le bataillon de Joanny, aux avant-postes, compte des pertes importantes : il doit se replier. Le 29, le bataillon de Joanny est dirigé sur la forêt du Ban d’Etival pour se fixer sur la route de La Salle au Haut-du-Bois, à hauteur des Basses-Pierres. La lutte est chaude. Et c’est là que Johanny est tué. Son livret militaire est annoté : « Décédé à Basses Pierres le 28 août 1914 d’un coup de feu ». Il sera enterré, semble-t-il, au col de la Chipotte.

Trois « parentés Ducol indirectes », Gabriel Géry, Louis Chatron et Marc Pigeon

Histoire de Gabriel, le séminariste

Le lien entre Marius Ducol et Gabriel Géry est très indirect, puisqu’il se fera bien après ; via les Descottes et les Dory. Gabriel était un beau-fils de Jean-Marie Dory, dit Joanny, remarié avec Marie-Félicie Bruyère de Roiffieux. C’est là que naquit Gabriel, en 1891. Il sera séminariste. Lors de la mobilisation d’août 1914, Gabriel est affecté au 97ème RI, un régiment savoyard chargé de surveiller la frontière italienne. Mais à la mi-août, le 97ème est envoyé en Alsace : les premiers combats y sont meurtriers : Dannemarie, Zillisheim, Flaxlanden. Le 20 août, le 97ème part pour la Lorraine : il faut stopper l’avancée allemande. Raon-l’Etape., Ménil-sur-Belvitte, Ste-Barbe, le 97ème avance à découvert sous les obus et les éclats des schrapnels. Puis, c’est le départ pour le col de la Chipotte, le col de Baremont, la vallée de la Meurthe. Le 28 septembre, le 97ème rejoint l’Artois : le régiment y perd la moitié de ses effectifs et ses officiers. Il recule vers Arras sous le feu des mitrailleuses. En janvier, le 97èmes’installe jusqu’en avril 1915, vers Souchez. C’est la 2ème bataille d’Artois : les compagnies françaises sont écrasées dans leurs tranchées. Le 16 juin, le 97ème se lance à l’assaut. Seul le 1er bataillon parvient au cimetière de Souchez : il y passe 3 jours et 3 nuits et il est réduit à 3 officiers et 100 hommes. Le 97ème  tente alors de franchir le ravin des Ecouloirs entre Souchez et Carency. Le 25, sur les quatre compagnies qui s’élancent à l’assaut, seules deux atteignent le cimetière et le grand ravin des Ecouloirs. C’est là que le sous-lieutenant Gabriel Géry est tué. Il sera inhumé à la nécropole nationale La Targette à Neuville St Vaast. Il recevra la Croix de guerre et la Légion d’Honneur.

Histoire de Louis, l’artilleur

Né en 1894, à Quintenas, Louis, fils d’Antoine et Marie Chatron, a 20 ans en 1914. Il est boucher. Ce n’est qu’en 1916 qu’il est déclaré « bon pour le service armé ». Louis effectuera toute la guerre dans l’artillerie. Incorporé au 114ème R.A.L, il commence par des allers-retours entre la Champagne et la Picardie avant de rejoindre l’Alsace, puis la Marne. La région ressemble à un désert : maisons rasées, arbres arrachés. Louis arrive alors à Verdun, aux forts de Douaumont et de Vaux. A la fin-septembre, il est en Picardie : Sailly-Saillisel. Le froid est très vif. Les unités progressent de boyaux en tranchées, sur des terrains boueux. Début-novembre, c’est la Champagne, puis la Meuse, à Ligny-en-Barrois, et ensuite retour en Picardie : Le Quesnoy, Ham.Les combats sont rudes, les soldats épuisées.  En avril 1917, le 114ème est en Champagne : Reims, Ville-en-Tardenois. Le 4 avril, devant le canal de l’Aisne, les Allemands attaquent les lignes françaises au lance-flammes. Le 16 avril débute l’offensive Nivelle autour de Berry-au-Bac pour contrôler la zone entre le plateau du Chemin des Dames et les Monts de Champagne. Le sol est cousu de fil de fer, les tranchées se distinguent à peine. Le 114ème est appuyé par un régiment russe. L’assaut de Sapigneul s’avère un échec face aux mitrailleuses allemandes. Retour ensuite dans l’Aisne : la Malmaison., Villers-Cotterets. En décembre 1917, le 114ème est en Artois : Louis combat aux côtés des Scott Guards. En janvier 1918, le 114ème repart en Champagne : Arcis-sur-Aube et le camp de Mailly, puis rejoint l’Alsace. Après deux mois assez calmes à Dannemarie, Louis passe, en mars 1918, au 314ème RAL où il est canonnier servant  Après 16 mois, Louis revient au 114ème RAL avant d’être libéré, à Saint-Maixent, le 12 septembre 1919. De retour à Quintenas, Louis épouse Louise Bayle, le 26 avril 1920; ils auront deux enfants : Jean et Paulette. Le 20 novembre 1954, Paulette épousera Jean, le 3ème fils de Marius Ducol.

Histoire de Marc, le Chasseur

Né en 1895 à Annonay, Marc, fils de Léopold et Augustine Pigeon et employé de commerce, est incorporé le 17 décembre 1914, au 23ème Chasseurs de Grasse. Marc part pour l’Artois, puis les Vosges enneigées : col de Bussan, ancienne frontière allemande, col de la Schlucht, bois de Gaschney, vallée de Munster, Stosswhir. Au Reichackerkopf, le 23èmeperd la moitié de ses effectifs. Positionné entre le Hohnek et Metzéral en juin 1915, les Chasseurs se heurtent aux mitrailleuses allemandes. Le 11 juillet, Marc est blessé à la figure, par un éclat d’obus  Hospitalisé à Epinal puis à Belley, il est cité, le 18 août, à l’ordre du Bataillon : « Bon Chasseur, dévoué et discipliné , blessé en faisant courageusement son devoir le 11 juillet 1915, à Metzéral (Alsace) ». En août 1916, on le retrouve au Linge, dans les Vosges où les Allemands utilisent les gaz asphyxiants et les lance-flammes. Marc passe en septembre au 51ème Chasseurs qui ira dans la Somme, les Vosges et en Alsace : Metzeral, Dannemarie, Carspach. Puis, c’est la Champagne aux côtés de la 1ère Division US, à Tahure. A partir d’octobre 1917, le 51ème combat 6 mois en Italie, avec les Italiens, face aux Autrichiens et aux Allemands : Milan, Pérouse, Monte Val Bella, Catalunga.  En avril 1918, c’est le retour en France, dans l’Aisne et la Somme : Marc a les poumons brûlés par l’hypérite et doit être hospitalisé. En novembre, il reçoit une seconde citation : « Chasseur dont le dévouement sans borne a permis d’assurer dans de bonnes conditions le ravitaillement en 1ère ligne. S’est souvent exposé en franchissant les tirs d’interdiction ennemis pour assurer leur service particulier. » Il est décoré de la Croix de guerre, et de l’insigne des fatigues (« efforts ») de guerre, accordée aux Français ayant combattu en Italie. Hospitalisé à nouveau, il passe, en mars 1919, au 11ème Chasseurs  avant d’être, le 13 septembre 1919, démobilisé et de pouvoir rentrer à Annonay. A partir de 1921, il touchera une pension d’invalidité pour « gêne de la mastication et de la parole consécutive à une blessure par éclat d’obus », puis en 1930,  pour « cicatrice du menton et des deux lèvres et perte de 4 dents par suite de blessures par éclats d’obus ». Marc épousera Marguerite Rioux le 10 janvier 1922 ; ils auront trois enfants : Paul, Gabrielle et Simone. Gabrielle épousera le 31 août 1946, André le 1er  fils de Marius Ducol. Marc Pigeon est décédé en 1971.

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Onze histoires parallèles, mais finalement similaires. Quatre ne reviendront pas. Les sept autres s’en sortiront mais non sans de graves blessures ou sans souvenirs pénibles de captivité. Les citations élogieuses et les décorations – Croix de Guerre, Médaille Militaire, Médaille de la Victoire ou Légion d’Honneur – feront assurément leur fierté à tous, mais resteront une maigre consolation pour des rescapés traumatisés : handicaps physiques et/ou psychologiques, soins médicaux interminables, nuits peuplées de cauchemars. Prendre conscience de leur traversée de l’enfer, leur donne une plus grande profondeur encore. Une réflexion de Simone Marron, à propos de son père Marc Pigeon, leur correspond bien à tous : « Il n’aimait pas reparler de toute cette horreur, mais par contre, tenait à fêter chaque 11 novembre.»

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