Voici quelques notes jetées sur un petit calepin pendant cette période de ma captivité.

1er Juin 1917 • Voici exactement un an que je suis prisonnier. Chaque jour me paraissait bien long, chaque semaine me paraissait interminable et voilà qu’un an a passé comme un jour. Jusqu’à présent il m’avait été impossible de rédiger des notes car l’encre était interdite aux prisonniers. Cependant j’avais un encrier que je cachais soigneusement mais un jour le kommandoführ le découvrit et, poliment, me le confisqua. Quelle année que celle que je viens de passer ! Quelle triste vie ! Seigneur, délivrez-moi, je vous en conjure !

3 Juin 1917, Dimanche • Ce matin on nous a conduits aux douches. En attendant mon tour j’ai ramassé, dans les buissons, une trentaine d’escargots. A midi nous avons eu une soupe de pulpes de betteraves assaisonnées aux œufs de poissons ; aucun des français n’a pu la manger, la plupart ne sont pas allés la chercher. Je ne l’ai pas prise et me suis contenté d’un biscuit sur lequel j’ai étendu un peu de lard fondu. L’après-midi j’ai fait cuire mes escargots. Vers 4h. Nous avons reçu une cuillerée de marmelade. Le soir à 6h. on nous a distribué du cacao artificiel, un morceau de pain et un morceau de boudin frais. J’ai préparé mes escargots ; ils étaient exquis ; avec mon cacao, mon morceau de boudin et ma petite tranche de pain j’ai fait un excellent repas, un vrai repas de Dimanche.

4 Juin 1917 • Malgré les cris du Bouc et du Marchand de poisson je ne me suis pas “crevé” au travail aujourd’hui. À la reprise du travail, à 1h., le petit Müller nous a dit que les sociaux-démocrates français n’avaient pas envoyé de représentants à la conférence de Stockholm. Cela ne nous intéresse guère, cela n’améliore guère notre situation.

5 Juin 1917 • Journée assez bonne. À midi, soupe immangeable. Pointu et le Juif sont en permission. Bono également est parti ce matin laissant la direction au Têtard. Pas d’incident particulier mais le vieux Bouc nous a un peu “embêtés” ce matin.

6 Juin 1917 • Journée mouvementée. Deux français employés comme charpentiers ont été ramenés du chantier à la baraque parce qu’ils ne travaillaient pas assez. Le marchand de morues a voulu essayer de nous mener rondement mais n’y a pas réussi. Toujours la même mesure au travail ; nous en ferons toujours assez. Bono est venu après le jus du matin ; Têtard est allé lui dire que nous ne travaillions pas assez ; il s’est approché et nous a regardés travailler mais il ne nous a rien dit.

Vers 11h. le Bouc s’est amené et nous a insultés disant que nous étions des chiens de fainéants et que nous ne faisions rien ; nous nous sommes tous récriés et notre interprète a protesté en disant que nous ne recevions pas la nourriture nécessaire aux travailleurs. Le Bouc a demandé au Têtard une punition pour ce camarade ; il a été mis au cachot sans nourriture. À midi, soupe aux œufs de poisson, immangeable. Pour la plupart nous avons apporté au chantier nos gamelles pleines afin de montrer aux civils la nourriture que l’on nous sert. Cette soupe a été présentée au Singe ; il nous a promis que dans quelques jours nous serions mieux nourris. Mais, depuis six mois, on nous fait cette même promesse, la nourriture n’a pas été améliorée, elle a été de plus en plus mauvaise au contraire. Nous nous sommes donc promenés sur le chantier avec nos gamelles à la main. Le Marchand de Morue rageait ; il a remplacé notre équipe par des Russes, puis il nous a envoyés vers le contremaître qui dirige les travaux de terrassement au tunnel ; ce dernier n’a pas voulu de nous et nous a renvoyés au Marchand de Morues. Le Marchand de Morues hurlait comme un damné, faisant le geste de lancer ses mains à terre, enfonçant son chapeau jusqu’au dessous de ses oreilles, de désespoir.

Il a renoncé à nous occuper et à s’occuper de nous ; il nous a laissés inactifs sur le chantier. Cela nous a permis de faire la pause. Au bout d’une demi-heure, sa colère s’étant un peu calmée il nous a rappelés et nous a disséminés sur le chantier. Un groupe est reparti faire du terrassement vers le tunnel.

Il y a eu encore quelques altercations avec le Têtard qui a reconduit deux français à la baraque ; ils ont été mis au piquet devant la baraque jusqu’au coucher à 8h ½. Il y a eu du “chambard” aujourd’hui. On a reçu un sac de colis ; il ne contenait que sept colis. C’est toujours honteux ce service des colis qui n’arrivent pas.

7 Juin 1917 • Aujourd’hui nous n’avons pas été au travail sauf quinze Russes qui ont dû aller décharger des sacs de ciment.

C’est la fête du Saint-Sacrement à Erpel. Les rues sont pavoisées, couvertes de verdure ; le matin nous avons vu passer la procession. De nombreuses bannières étaient portées par de vieux messieurs coiffés d’un haut de forme, vêtus d’une redingote noire avec une écharpe. Bono nous a laissés relativement tranquilles aujourd’hui ; il y a eu de petites corvées mais pas d’appel et pas de ces revues si ennuyeuses. La soupe, comme celle d’hier, a été immangeable.

8 Juin 1917 • Aujourd’hui, sous la surveillance de Pointu j’ai fait partie d’une équipe de terrassiers. Pointu était bien luné et il ne nous a pas tracassés. La soupe a été assez bonne à midi. J’ai cueilli une trentaine d’escargots que je mangerai Dimanche. Deux petits tuyaux : (sous toute réserve) le premier suivant lequel les Français attaqueraient près de Belfort est de Pointu, le deuxième suivant lequel les Autrichiens reculeraient sous la poussée des Italiens nous vient des civils belges.

9 Juin 1917 • Aujourd’hui, nous est arrivé un nouveau camarade français. Mon équipe a été sous la surveillance du Juif. Ce matin Bono est apparu avec un œil au beurre noir. Il a dû se battre. Dans la journée, un officier est venu lui parler. Il y a eu quelques colis ; aucun pour moi encore cette fois.

Dimanche 10 Juin 1917 • Ce matin nous avons été aux douches. Journée assez tranquille. À midi, la soupe n’était pas mangeable mais nous avons eu un petit morceau de viande. A 4h. nous avons eu une cuillérée de marmelade. Le soir nous avons eu quelques pommes de terre en robe des champs avec une espèce de fromage qui était plein d’asticots. Il y avait beaucoup plus d’asticots que de fromage. Après réclamation il a été remplacé par de petits harengs.

11 Juin 1917 • J’ai commencé ma journée sur la ligne du tunnel. J’ai fait ensuite du terrassement près de la pile du pont qui borde la route. Ensuite je suis allé de l’autre côté du Rhin pour y décharger des sacs de ciment sous les ordres du Juif et du Binoclard ; celui-ci m’a un peu malmené au début.

12 Juin 1917 • Aujourd’hui j’ai été occupé à divers travaux. J’ai fait du terrassement ; j’ai chargé des sacs de ciment, j’ai jeté de la terre dans le Rhin, j’ai travaillé au charbon.

À la reprise du travail, à 1h. j’étais revenu sur ma péniche pour jeter de la terre dans le Rhin quand tout à coup Pointu me fait signe de partir de l’autre côté avec le bateau pour aller décharger du ciment ; je cours prendre ma gamelle avant de partir et quand je reviens le bateau a quitté le bord. Alors Pointu, rouge de colère me traite de chien de cochon de fainéant, puis saisissant une planche il me la lance du haut du pont. Elle m’atteint à la poitrine ; sous le coup, je m’assieds et demeure immobile. Pointu descend dans la péniche, me secoue brutalement puis il tire sa baïonnette et se met à faire des moulinets devant moi en criant « Arbeit ! arbeit ! » « Au travail ! au travail ! ». Je recommence à jeter de la terre à l’eau ; l’incident est clos. Le soir, je réclame, je porte plainte à Bono pour avoir été frappé par Pointu. Bono me demande si je désire qu’il formule une plainte contre Pointu, je réponds non. Pointu me cherche des yeux dans la salle le soir et dit en s’adressant à moi « Morgen ! » ce qui veux dire : « Demain tu me paieras cela, demain je t’aurai. »

On nous annonce qu’à partir de demain la soupe ne sera plus faite ici mais qu’elle sera apportée de la cantine des civils belges. Il y aura désormais soupe et légumes ; souhaitons que ça dure.

13 Juin 1917 • Comme il me l’avait promis hier, Pointu a voulu me mener la vie dure aujourd’hui. En arrivant au chantier de l’autre côté du Rhin il m’a fait sortir des rangs pour me faire travailler seul avec un camarade à fournir le ciment à la bétonnière ce qui est un travail fatigant et peu agréable. Les sacs de ciment sont en papier et ils sont tous crevés ; nous avons bien du mal à en tenir à la bétonnière.

Pointu et Jambe-de-laine, une espèce de contremaître boiteux n’ont pas manqué de nous embêter.

À midi la soupe n’a pas été mangeable et nous n’avons eu qu’une demi-ration de pain, environ 60 grammes. Heureusement, ce soir nous avons reçu nos biscuits pour cinq semaines ; il en manquait cinquante kilos. Cela fait que nous n’avons reçu que cent cinquante-cinq biscuits chacun. Nous avons adressé une réclamation.

14 Juin 1917 • Aujourd’hui encore j’ai travaillé au ciment avec mon camarade Pétrault. Pointu ne nous a pas “embêtés”. J’ai reçu une lettre de mes parents et je leur en ai écrit une.

15 Juin 1917 • J’ai encore travaillé au ciment avec Pétrault. Nous avons pu faire un peu la pause mais le Têtard nous a “embêtés”.

Samedi 16 Juin 1917 • J’ai travaillé au terrassement. Ce matin, le Têtard nous a un peu tracassés. Il a ramené Pétrault à la baraque et l’a laissé toute la journée au piquet en plein soleil.

Dimanche 17 Juin 1917 • Bono ne nous a pas trop “embêtés” aujourd’hui. L’ordinaire a été considérablement amélioré. À midi nous avons eu un bon bouillon, de la viande en sauce et des pommes de terre. Le soir nous avons eu des pruneaux.

18 Juin 1917 • Toute la journée j’ai jeté de la terre dans le Rhin. Nous n’avons pas été tracassés. La soupe a été mangeable. J’ai reçu deux lettres.

18 Juin 1917 • Toute la journée j’ai jeté de la terre dans l’eau. La journée a été tranquille pour moi. Nous avons reçu quatorze colis ; il n’y en avait point pour moi. Voilà quarante jours que je n’en ai pas reçus et pourtant je sais qu’on m’en envoie.

20 – 21 – 22 Juin 1917 Rien de particulier.

Samedi 23 Juin 1917 • Toute la matinée j’ai poussé les wagonnets de béton depuis la bétonnière jusqu’à la grue. Le soir, Pointu m’a désigné pour balayer et nettoyer la baraque.

Dimanche 24 Juin 1917 • Bono nous a promis de faire la fouille mais il ne nous a pas dérangés du tout. À midi, la nourriture était mangeable.

25 Juin 1917 • Nous avons poussé des wagonnets de terre ; nous avons été tranquilles. J’ai reçu une lettre de mon père ; il me dit qu’on est sans nouvelles de moi depuis trois mois à la maison. Cependant j’écris chaque mois.

26 et 27 Juin 1917 • Même travail. Journées assez tranquilles.

28 Juin 1917 • Nous poussons des wagonnets de béton de la bétonnière à la grue. Pendant que la grue élève le béton sur la pile du pont en construction nous nous asseyons et nous reposons sur le bas de la grue. Un civil qui n’aime pas à nous voir assis s’est avisé d’étendre du cambouis sur le bord de la grue. Nous avons remarqué la chose et nous avons compris. Mais nous avons vu aussi une boîte à demi-pleine de cambouis qui se trouvait là. Le civil ayant laissé sa veste et son gilet sur une pierre, un prisonnier a songé à la loi du talion. En ramenant le wagonnet et sans être vu de personne il a renversé la boîte de cambouis sur la veste et sur le gilet du civil. Celui-ci ne s’est aperçu de ce qu’on lui avait fait qu’un moment après lorsque nous ramenions le wagonnet. Il nous a menacés du poing nous a adressé quelques injures mais comme il ne savait et ne pouvait savoir lequel d’entre nous lui avait joué ce tour il n’a pu faire davantage et nous avons bien ri à ses dépens. Le graisseur a été graissé.

29 Juin 1917 • Les Russes ont adressé une plainte collective au général allemand commandant le camp de Wahn pour réclamer au sujet de la nourriture. Le Kommandoführ ne nous donne pas la nourriture qui nous est destinée ; il vend les pommes de terre qui sont envoyées pour nous. Il en est de même pour les chaussures. Nous avions, nous aussi, les Français, adressé une plainte à ce sujet mais nous l’avions adressée au Consul d’Espagne à Cologne et elle avait été interceptée par les Allemands qui envoyèrent deux officiers pour nous interroger.

Lorsque ces officiers arrivèrent à notre baraque, l’auteur de la lettre ne s’y trouvait pas. Il était avec moi, tous deux nous avions porté la marmite de soupe de l’autre côté du Rhin ; nous étions chargés de cette corvée.

« Tous vos prisonniers français sont-ils bien là ? » demandèrent les officiers au Kommandoführ. Celui-ci répondit : «  Il n’en manque que deux qui ont été porter la soupe mais ils ne sont pas capables d’avoir écrit cette lettre, ils sont très bêtes. » « Quel est celui d’entre vous qui a écrit la lettre ? » demandèrent les officiers à nos camarades qui répondirent unanimement : «  Tous ! C’est nous tous qui l’avons écrite ! ». « Mais quel est donc celui qui l’a affranchie et qui l’a mise à la poste ? » demandèrent-ils encore. « Personne ! » répondirent les Français comme un seul homme.
« Bien, dirent les officiers allemands, tous ont écrit la lettre et personne ne l’a mise à la poste. » Ils expliquèrent qu’il était impossible à l’Allemagne de donner une meilleure nourriture aux prisonniers. « Croyez-vous, disaient-ils, que nous mangeons du pain blanc et du chocolat nous ? »

1er Juillet 1917 • Le mois de Juillet commence mal. Bono a eu la visite d’un officier qui est demeuré avec lui une bonne partie de l’après-midi. Il avait été question de son départ mais je crois qu’il a réussi à se disculper. L’officier a rassemblé les Russes et leur a demandé qui avait écrit la lettre qu’il avait entre les mains et qui était une plainte sur les mauvais traitements que nous recevions. Ceux qui l’ont écrite sont sortis des rangs et ont déclaré qu’ils avaient exprimé les sentiments de tous les camarades. Après une longue discussion avec Bono, l’officier lui a serré la main et s’en est allé.

2 Juillet 1917 • Représailles. Pour se venger, Bono a dit que dorénavant les deux portes de la baraque donnant accès aux cabinets et au lavabo-cuisine seraient fermées et que la tinette serait en permanence dans la baraque. De même nous serions obligés de nous coucher immédiatement après l’appel à 8h ½. Bono a hurlé ; la bête a poussé son cri.

3 Juillet 1917 • Aujourd’hui c’est le Bouc qui a été furieux envers nous, toujours parce que nous ne travaillons pas assez. Il nous a insultés. Puis il a eu une vive altercation avec notre gardien, le Juif. Il lui a dit qu’il ne faisait pas son devoir et qu’il était tenu de nous contraindre au travail. Le gardien n’a pas eu peur, il s’est défendu énergiquement. Dans l’après-midi un officier est passé au chantier. Bono est venu faire des observations au Juif parce qu’il a répondu dignement au Bouc qui a fait un rapport. Si ce gardien nous quitte nous le regretterons. Il n’est pas méchant envers nous. Il ne nous restera plus que cet idiot de Têtard, ce ridicule voyou de Pointu alias Casse-Noisette, dignes émules de leur chef Bono. La Femme enceinte qui nous garde la nuit n’est pas un mauvais “zig” mais il a “la trouille” de Bono et tremble de crainte quand il s’agit d’exécuter ses ordres. En attendant, nous sommes toujours privés du Wasser-Küche et des cabinets par ce sacripant de Bono.

4 Juillet 1917 • Le Juif est disparu aujourd’hui. Il a été puni parce qu’il a refusé d’être méchant et brutal envers nous. C’était un bon Juif ; nous le regrettons.

Ce soir nous avons recouvré le droit d’aller aux latrines et au lavabo ainsi que de demeurer dans la salle après 8h ½. Au chantier, le Petit Maçon a voulu nous lancer son marteau dessus. S’il l’avait fait il aurait reçu des coups de pelle ; nous sommes tous solidaires pour défendre un camarade.

5 Juillet 1917 • Schmitt, le Marchand de Morues, est reparu ce matin, nous ne l’avions pas revu depuis samedi.

Ce matin les prisonniers civils belges ont été amenés sous notre hangar et toute la journée ils ont dû rester au garde-à-vous sans nourriture. Ils ont été traités de la sorte parce qu’ils refusent de signer un contrat d’après lequel ils seraient travailleurs volontaires en Allemagne. Je crois qu’en vertu de conventions spéciales entre belligérants et pays neutres ces Belges ne pouvaient être retenus en Allemagne qu’en qualité de travailleurs volontaires ayant librement donné leur consentement. Mais comme les Allemands avaient besoin d’eux ils voulaient obtenir ce consentement par la force. Le soir, à la nuit tombante, ils sont toujours là au garde-à-vous sous le hangar ; ils ont été admirables d’endurance et ils auront le dessus ces braves Belges. Quelle félonie de la part de ces sales Boches ! Et ils disent : Dieu est avec nous : « Gott mit uns » peut-on lire sur la plaque de leurs ceinturons.

Aujourd’hui Pointu a eu une crise de fureur comme avant-hier ; il a chargé son fusil et a mis en joue notre camarade Bouvard, un Vosgien. Bouvard lui a fait le suprême défi ; il s’est redressé en bombant sa poitrine et en élevant le front. Il est demeuré là immobile sur place, très fier avec un air de dire : Tire donc, lâche, si tu en as le courage !

Pointu en a pâli et a rabaissé son arme d’un air plutôt penaud. Puis il a ordonné à notre camarade de rentrer à la baraque où il serait au garde-à-vous. Il y est encore. Bono lui a dit qu’il serait fusillé demain matin mais, comme nous tous, il connaît ce refrain et d’ailleurs il ne craint pas la mort.

Pointu m’a mis aussi en joue, un jour, pour m’obliger à prendre deux grandes planches sur mon épaule au lieu d’une seule que j’avais prise. Comme je me trouvais seul avec lui et éloigné de mes camarades, j’ai pris les deux planches. Si j’avais été près de mes camarades j’aurais refusé !

Vendredi 6 Juillet 1917 • La nuit venue, les Allemands ont fait entrer les Belges dans le milieu de notre baraque et les ont obligés à demeurer debout au garde-à-vous. Cependant, vers le milieu de la nuit, la sévérité de leurs gardiens s’étant un peu relâchée, vaincus par la fatigue, les uns après les autres, ils se sont accroupis, assis, puis étendus sur le plancher de la salle. Par un reste de pitié, Bono les a laissés ainsi ; les pauvres civils belges ont pu se reposer un peu malgré la mollesse du plancher. Des camarades français leur ont fait passer quelques biscuits. Bono s’en est aperçu ; il est venu les leur enlever en criant. Puis il a demandé les noms de ceux qui avaient fait passer les biscuits ; comme personne ne disait rien ils nous a menacés de nous punir tous, immédiatement. Alors, deux d’entre nous se sont chargés de prendre tout sur eux en donnant leur nom. Bono leur a dit qu’ils seraient sévèrement punis le Dimanche suivant.

Dimanche 8 Juillet • Les camarades qui devaient être sévèrement punis aujourd’hui ne l’ont pas été. Les Belges ont, je crois, obtenu gain de cause grâce à leur ténacité et à leur héroïsme. Ils vont être ramenés en Belgique.

Nous avons des tuyaux d’après lesquels ça ne va guère bien pour l’Allemagne en ce moment.

Dimanche 15 Juillet • Ce soir, le nouveau Kommandoführ est arrivé ; c’est un feld-webel. Bono va partir ; tant mieux.

On nous a annoncé que, par mesure de représailles, le service des colis était suspendu ; tant pis. Nous manquons de pain depuis deux jours.

Lundi 16 Juillet 1917 • Ce soir, le nouveau Kommandoführ nous a avertis qu’il rentrait en fonctions. Je serai bon avec vous, nous a-t-il dit, mais si vous me créez des ennuis je deviendrai très sévère. Nous avons convenu que nous lui donnerions le nom de Sous-Off s’il n’est pas trop “vache” et celui de Bono III dans le cas où il serait méchant pour nous.

17 Juillet 1917 • Ce matin j’ai été pris à partie par le Têtard. À peine étais-je au travail depuis un quart d’heure qu’il m’a cherché noise pour je ne sais au juste quelle raison car il avait beau crier comme un veau je ne comprenais pas ce qu’il me disait. Je crois qu’il trouvait que je ne travaillais pas assez et pas assez vite. Par trois fois, j’ai cru qu’il allait me dévorer. Enfin, en hurlant, il m’a ordonné de rentrer à la baraque ; depuis 6h ½ jusqu’à 6h du soir. Par bonheur le temps ne m’a pas paru trop long. Bono n’est pas encore parti ; il ne m’a pas dit un seul mot, le feld-webel, lui non plus ne m’a rien dit.

C’est donc le Têtard seul qui a voulu me punir ; je crois même que Bono l’a remballé et l’a blâmé de m’avoir ramené à la baraque.

Je n’ai pas refusé de travailler ; je n’ai pas répondu un seul mot au Têtard qui m’injuriait. Je n’avais donc aucun motif d’être puni. Quant au travail il ne m’était pas possible d’en fournir davantage et je ne voulais pas en fournir davantage.

Mercredi 18 Juillet 1917 • Le Marchand de Morues nous a rassemblés dès notre arrivée sur le chantier ce matin. Il a séparé ceux qui, d’après lui, ne sont que des “Faulenzer”, des paresseux. J’en suis toujours. Nous avons travaillé à la voie du tunnel. Têtard était méchant pour commencer mais il s’est calmé.

Je crois que c’est Fénelon qui a dit à peu près ceci : « Il n’y pas d’infortune plus grande pour un homme que d’être privé de sa liberté par la captivité. » Ceux qui en ont goûté comme moi peuvent dire et affirmer que cela est bien vrai. C’était une vie de brutes que nous menions dans les kommandos allemands. Traités comme un vil bétail, forcés au travail durant de longues journées, mal vêtus encore plus mal nourris, nous n’avions rien pour l’esprit, pour l’âme. Impossible de se procurer des livres de lecture ou d’étude ; et quand nous en aurions eu nous n’aurions pas eu le temps de les lire ou de les étudier. Lorsque nous avions un peu de temps libre il était employé à nous préparer un peu de nourriture ou à nettoyer nos vêtements, à laver notre corps et notre linge.

Nos camarades russes étaient très sales ; ils avaient des poux. Chaque jour nous devions examiner nos vêtements pour ne pas nous laisser envahir par la vermine.

En fait de religion il n’y en avait pas beaucoup parmi les prisonniers français. Parfois, le Dimanche, le kommandoführ demandait quels étaient ceux qui désiraient aller à la messe. J’y allais à chaque fois mais c’est à peine si trois ou quatre camarades me suivaient. L’interprète, Monsieur Lefay, un employé de banque venait presque toujours.

Je ne sais pas pourquoi le kommandoführ ne nous faisait pas conduire à la messe chaque Dimanche.

Certains Dimanches il aurait voulu que tous les Français allassent à la messe et il promettait des corvées à faire pour ceux qui demeureraient à la baraque. La plupart des Français refusaient d’aller à la messe et préféraient faire des corvées. Ils répondaient qu’ils n’y allaient pas en France et qu’ils feraient de même en Allemagne.

Un jour un père Jésuite Polonais vint à la baraque. Il parla à ses compatriotes qui étaient prisonniers russes puis il fit dire qu’il confesserait les Français qui voudraient bien venir à l’église avec les Polonais. J’y allai avec un seul camarade. Le père Jésuite parlait assez bien le français. Après nous avoir confessés il nous donna à chacun un gros cigare.

Le lendemain j’entendis la Messe et je fis la Sainte Communion. À mon retour à la baraque je fus accueilli en ces termes par un camarade qui se tenait au milieu d’un groupe : « Alors, tu l’as avalé la pastille ? »

Au lieu de lui répondre par une bonne parole douce, charitable, souriante qui l’eût tranquillement remis à sa place, je voulus porter la main sur lui parce qu’il m’avait vexé. Ce n’était pas intelligent de ma part ; ce camarade qui était beaucoup plus fort que moi me donna deux gifles retentissantes. C’est à peine si deux ou trois camarades prirent ma défense ; les autres trouvaient que j’avais tord ; quelques-uns m’invectivaient. Actuellement, en me remémorant cet incident, je reconnais moi-même que j’avais eu tort. Si j’avais été bien pénétré de la douceur et de la charité du Christ j’aurais su trouver la réponse qui convenait pour la circonstance et j’aurais fait une meilleure impression sur mes camarades de captivité. Si j’avais été un saint… oui. Mais hélas !…

Je demeurai pendant dix mois à la Filiale n° 1438 à Erpel que je quittai le 25 Août 1917 pour aller travailler chez les paysans du Rhin.

Correspondance

Janvier 1917 – Carte de Mme Mauvas, Champvert – La-Demi-Lune

Mon cher Ami

J’ai bien reçu votre carte du 15 Novembre. Il y avait longtemps que je n’avais rien reçu de vous, aussi elle m’a bien fait plaisir ; Je pense que les colis vous sont parvenus. Ma mère vous en envoie un par l’Hôtel de Ville.

Pouvez-vous faire cuire les pâtes et voulez-vous que je vous en envoie ainsi que du riz ? Ici il fait très froid, nous avons beaucoup de neige. Mme Garnier, ma mère et moi vous envoyons nos amitiés.

J. Mauvas

3 Janvier 1917 – Lettre de mon frère Hervé

Cher Frère

Jusqu’ici j’avais laissé aux parents le soin de correspondre avec toi car il leur était plus facile qu’à moi de t’écrire.

Ils t’avaient bien dit que j’étais à Bron depuis le 9 Août, mais j’ai vu par tes lettres, que l’on me faisait passer à Lyon, que tu n’avais pas bien compris. Je crois pouvoir te dire maintenant que je viens d’être réformé temporairement. Je n’ai pas à me plaindre trop du temps que j’ai passé à Bron. J’y étais comme mécano d’avion. Tous mes copains de Quintenas ne savaient que dire que « j’avais le filon ». Évidemment on était bien mieux que ces pauvres Quintenassiens. Il y a environ 5 semaines je pris froid à Bron et je toussais beaucoup comme cela m’arrive assez souvent. Je fus envoyé à l’hôpital. Je n’étais pas très malade, cependant n’étant pas très costaud, les majors m’ont proposé pour la réforme temporaire. Après avoir passé 8 jours à l’Exposition j’ai été enfin renvoyé le 31 Décembre.

Je suis donc actuellement à Quintenas pour quelques jours. Peut-être je retournerai ensuite travailler à Lyon. Ramier est venu me voir une fois à Lyon. Il est dans le génie à Avignon. Jeanne et Rosine vont toujours bien je les voyais assez souvent et leur donnais de tes nouvelles.

Il y a eu ces jours-ci beaucoup de permissionnaires. Lucien Rullière est venu, il nous dit de te donner le bonjour de sa part.

Nous n’avons reçu de toi que deux cartes depuis la Toussaint. Je ne sais pas si ta correspondance nous parvient toute. Nous craignons aussi que tu n’aies pas eu tous tes colis. Lorsque tu écriras dis-nous tant que possible ceux que tu as reçus et quand tu les a reçus.

Les parents sont en bonne santé Louise et Clotilde aussi. J’espère que tu n’es pas malade toi-même. Je crois bien fermement que quoiqu’il arrive, l’an nouveau nous rapprochera et amènera la fin de ces calamités.

Reçois donc mes meilleurs souhaits et puisses-tu nous revenir bientôt.

H Vergne

7 Janvier 1917 – À mes parents

Chers Parents,

Je suis toujours en bonne santé et j’espère que ma carte vous trouvera de même. J’ai eu des nouvelles de Hervé par Jeanne ; j’espère qu’il se sera bien remis. Je vois que son rêve se réalise s’il est à l’aviation à Bron. Espérons que la nouvelle année ne s’écoulera pas sans que nous ayons le doux bonheur de nous revoir tous.

Envoyez-moi si possible des légumes secs, haricots, lentilles, des pâtes, avec lard ou graisse. Bien le bonjour à tous les parents à Hervé et à Jeanne quand vous leur écrirez.

Je vous embrasse affectueusement

J. Vergne

ABSENDUNG 18-1-17
P.Pr. St Wahn

19 Janvier 1917 – À mes parents

Enfin j’ai reçu de leurs nouvelles à ma dernière adresse. Trois lettres : celles des 23 Novembre, 5 et 11 Décembre qui me sont parvenues le même jour. J’ai été bien tristement surpris en apprenant la mort de mon cousin Marius Vergne et celle de mon vieux camarade d’enfance, Gabriel Faurie. Et comment m’a-t-elle épargné, moi, la mort ? Je viens d’avoir 21 ans, le 29 Décembre dernier. Comment se fait-il que je sois encore là ?

Je ne savais pas que mon camarade Mercier d’Annonay était, lui aussi, au camp de Wahn. Il faudrait un hasard pour que je puisse le rencontrer. Demandez à sa femme s’il a, avec lui, mon autre copain, Joseph Vidal. Nous nous étions promis de ne pas nous séparer, tous les trois, au soir du 1er Juin 1916. Et puis, bien malgré nous, nous avons été dispersés. Je suis heureux de savoir qu’Hervé est à Bron. Ainsi ont été exaucés ses désirs qu’il m’avait souvent exprimés. Je souhaite qu’il devienne un Blériot. Jeanne me dit qu’il suit des cours techniques.

Je n’ai pas encore reçu votre colis du 22 Novembre. Je n’ai aucun besoin d’argent. Je ne saurais qu’en faire.

Seuls quelques paquets de vivres peuvent m’être utiles et me faire plaisir. Inscrivez bien lisiblement l’adresse complète et ne craignez pas de l’inscrire en plusieurs endroits.

Revenir au pays sous un ciel pacifique
Et revoir ses parents après ce temps tragique
Voilà tout mon désir, voilà tout mon espoir.
Qu’il est doux de songer à ce temps du revoir.

18 Janvier 1917 – Lettre de mon frère

Leur est parvenu ces jours-ci une de mes cartes où je demandais que l’on m’envoie des châtaignes. Ils m’en ont déjà envoyé un colis de 5 kilos. Il y a des colis qui m’ont été envoyés depuis longtemps et que je n’ai pas encore reçus.

Il est à Quintenas depuis le 1er de l’An mais il serait déjà reparti travailler si le temps avait été meilleur. Ils ont eu une abondante chute de neige qui ne veut pas disparaître. Il craint qu’il ne fasse encore beaucoup plus froid là où je me trouve. Les parents vont assez bien mais notre mère souffre du froid [on n’était guère chauffé à l’intérieur de la maison].

21 Janvier 1917 – Lettre de mon père

Reçu mes cartes des 10 et 24 Décembre. Ils espèrent que j’ai reçu leur colis de 5 kilos du 22 Novembre. Hervé a été réformé le 31 Décembre. Il est arrivé à la maison dans la nuit du 31 au 1er Janvier. Il est resté à la maison jusqu’à ce jour mais demain il repart à Lyon pour tâcher d’y trouver du travail. Il s’ennuyait à ne rien faire et le temps est si peu propice aux travaux des champs. Il est tombé, Dimanche dernier, une épaisse couche de neige et le temps est très froid. Il espère que je n’aurai pas trop à souffrir des rigueurs de l’hiver et dans cette espérance il m’adresse les meilleurs vœux de tous.

GEPRÜFT KOMMANDANTUR WAHN-LAGER 74

Le 28 Janvier 1917 – À mes parents

Chers Parents

J’ai reçu cette semaine la première lettre d’Hervé qui m’a causé bien du plaisir datée du 3 Janvier. J’ai reçu aussi votre colis du 22 Décembre contenant : sucre, sachets riz, 1 paquet macaroni, 1 boite graisse, lard, saucisson, ½ livre chocolat, figues. J’ai été bien content de recevoir du riz, des pâtes et de la graisse. Je suis en bonne santé et tâche de lutter contre l’hiver. Vous autres aussi tachez de vous conserver en bonne santé, ne vous laissez pas gripper. Bonjour à tous les parents et amis. Votre prisonnier qui songe bien à vous.

J. Vergne

ABSENDUNG 8-2-17
GEPRÜFT – WAHN 74
Quintenas 26-2-17

30 Janvier 1917 – Lettre de mon père

Mon Cher Jean,

Nous avons bien reçu tes trois cartes du 10, 17 et 24 Décembre mais nous voyons que tu n’as pas encore reçu notre colis du 22 Novembre. Sans doute maintenant tu l’as reçu depuis. Nous sommes toujours en bonne santé pour le moment Dieu veuille que ma présente lettre te trouve en bonne santé. Ici le temps est très froid et une couche de neige couvre le sol depuis 17 jours, et je vois que le froid sévit partout pourvu que tu ne subisses pas trop à souffrir des rigueurs de ce cruel hiver. Combien je pense à toi à ce moment si loin de nous avec ce temps cruel. Il faut espérer que Dieu te protègera et qu’un jour tu puisses nous revenir en bonne santé.

Hervé travaille maintenant à Lyon. Il t’avait écrit pendant qu’il est venu passer quelques jours. Je pense que tu recevras sa lettre, il est guéri maintenant et il travaille au chaud car il a été réformé à cause du froid. Son tempérament exige qu’il soit au chaud. Nous avons reçu de lui une lettre aujourd’hui et il nous dit que tout va pour le mieux.

Quand tu auras reçu ton colis du 22 Novembre fais nous le savoir. Nous t’en avons adressé 2 autres après celui du 22 Novembre, nous pensons que tu les recevras. Sitôt que nous saurons que tu as reçu celui du 22 Novembre, nous t’en enverrons un autre.

Adieu mon cher Jean, puisse cette nouvelle année nous ramener notre prisonnier et en bonne santé. Ta mère, Louise et Clotilde se joignent à moi et te souhaitons un prompt retour parmi nous.

Ton père qui t’aime.

Urbain Vergne

4 Février 1917 – À mes parents

Les dernières nouvelles que j’ai reçues sont celles que m’a apportées la lettre d’Hervé du 3 Janvier que j’ai reçue il y a juste quinze jours. Votre colis du 22-12-16 m’est parvenu le 24-1-17 en bon état. S’il existe un comité départemental s’occupant des prisonniers de guerre veuillez bien donner mon adresse à la Préfecture.

ABSENDUNG 15-2-17
Quintenas 23-2-17

7 Février 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma carte du 7 Janvier et constatent que je n’ai pas reçu leur colis du 22 Novembre. Ils voient avec regret que leurs envois ne me parviennent pas aussi régulièrement qu’au camp de Heilsberg. Le froid est vif et une épaisse couche de neige couvre le sol. Le froid est général et ils espèrent que je n’en souffre pas trop.

11 Février 1917 – À mes parents

Chers Parents. Voilà à présent trois semaines que je n’ai pas de nouvelles. J’espérais en avoir l’autre semaine puis dans celle qui vient de passer, mais toujours rien. Je pense bien que j’en aurai celle-ci sans cela, ça ferait un mois sans en avoir ; cependant, je sais que vous m’écrivez chaque semaine. [Ici la censure a recouvert mon écriture d’encre de chine. Je ne sais ce que j’avais bien pu dire]

Je vous embrasse affectueusement.

J. Vergne.

ABSENDUNG 22-2-17
Quintenas 9-3-17

Urbain Vergne à Monsieur le Sous Préfet de Tournon

Monsieur le Sous Préfet,

Vous m’excuserez si je prends la liberté de m’adresser à vous pour savoir s’il n’existe pas dans l’Ardèche un Comité de Secours aux Prisonniers, à la Mairie on m’a dit ignorer.

J’ai un fils qui malgré tout ce que nos moyens nous permettent de lui envoyer nous réclame de donner son adresse au Comité de Secours aux Prisonniers qui doit nous dit-il exister dans l’Ardèche comme dans les autres départements.

J’ai pensé m’adresser à Monsieur le Sous Préfet pour avoir soit l’adresse de ce Comité, soit que Monsieur le Sous Préfet veuille faire inscrire mon fils à ce Comité.

J’espère que vous voudrez bien, Monsieur le Sous Préfet, prendre ma demande en considération.

Recevez, Monsieur le Sous Préfet, mes très humbles et sincères salutations.

U. Vergne à Quintenas Ardèche

Adresse du Prisonnier
Vergne Jean Noël
24e Régt d’Infanterie
Prisonnier de Guerre Matricule 100.873
Camp de Wahn (Rhld)
Filiale 1438
Allemagne

Reçu en Sous Préfecture de Tournon le 18 Février 1917

Transmis à Monsieur le Maire de Quintenas en le priant de vouloir bien inviter l’intéressé à adresser sa demande au Comité Départemental de secours aux prisonniers de Guerre à Privas.

Tournon le 19 Février 1917
Le Sous Préfet

12 Février 1917 – Lettre de mon père

Ils n’ont toujours pas reçu de mes nouvelles depuis ma lettre du 7 Janvier et sont inquiets. Ils ont un temps affreux. Depuis bientôt un mois le sol reste recouvert de neige. 18°au-dessous de zéro.

15 Février 1917 À mes parents.

Je n’ai pas encore de leurs nouvelles. Dieu que c’est long ! Je viens par contre de recevoir 4 lettres du mois d’Août 1916 : une de ma mère, deux de mon père et une de M. Adrien Léorat. Je leur demande de le remercier et de lui donner de mes nouvelles. Je les prie d’écrire à Mme Mauvas (La Demi-Lune par Tassin, Rhône) pour lui dire que j’ai bien reçu d’elle deux cartes, trois colis, deux de Septembre et un d’Octobre, de la remercier pour moi. Je lui ai répondu mais n’ai plus eu de ses nouvelles depuis trois mois.

ABSENDUNG 22-2-17
Quintenas 9-3-17

19 Février 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu cette semaine ma longue lettre qu’ils attendaient avec impatience. Maintenant le beau temps revient après un long mois de froid rigoureux. La neige fond, il n’y en a presque plus.

Ils espèrent que j’aurai reçu leur colis du 22 Novembre. Ils m’en ont expédié deux autres et ils m’en enverront un autre cette semaine. Il me dit de prendre mon sort en patience et que le jour où nous serons de nouveau réunis sera pour tous un jour mémorable.

Ils ont enterré hier le père Guigal[1], 84 ans. Il souhaite que sa lettre me donne courage et consolation.

[1] Augustin Guigal, domicilié 17 Grande Rue, âgé de 88 ans et non 84 ans

27 Février 1917 – Lettre de mon frère

Ils ont reçu hier ma carte datée du 28 Janvier. Il voit avec plaisir que j’ai reçu sa première lettre ainsi que le colis du 22 Décembre. Il y en a un du 22 Novembre que je n’ai pas reçu. Ils vont m’en préparer un aujourd’hui.

Mon père a écrit au Comité Ardéchois de Secours aux Prisonniers de Guerre pour donner mon adresse.

Depuis que j’ai envoyé ma carte du 28 Janvier il a fait un froid terrible et il pense que ce devait être pis là où je me trouve. Le thermomètre indique jusqu’à –20° et s’est maintenu pendant 3 semaines à –10°. On dit qu’il y a plus de 20 ans qu’il n’avait fait aussi froid. Avec cela ils ont eu, à plusieurs reprises, d’abondantes chutes de neige. Il y a eu jusqu’à 50 cm de neige. Heureusement depuis quelques jours le temps s’est radouci et la neige a fondu.

Il a dû revenir de Lyon où il travaillait et rester à la maison pour quelques jours. Ma mère aussi a été grippée. Rien de grave, cela passe à présent. Le printemps va venir. Il espère qu’il sera le dernier que nous passerons en guerre. Puissions-nous être bientôt réunis à Montjoux.

28 Février 1917 – Carte de Mme Mauvas.

Mon cher Ami

J’ai reçu votre carte du 21 Janvier. Je vous enverrai, un de ces jours, un colis avec pâtes et légumes secs, je suis contente de savoir ce qui peut vous être agréable.

Ici l’hiver a été très rigoureux et nous en avons beaucoup souffert. Notre ami, M. Garnier est très malade. Le patronage est toujours fermé. Je suis en bonne santé ainsi que ma mère mais mon père vient d’être très souffrant.

Au revoir, mon cher Ami, recevez notre sympathique souvenir.

J. Mauvas

1er Mars 1917 – À mes parents

Je viens de recevoir leur lettre datée du 30 Janvier. Le froid a sévi un peu partout comme ils le disent mais à présent c’est passé. Je n’ai pas eu la grippe. Et voilà le printemps en vue.

Je n’ai pas reçu le colis qu’ils m’ont envoyé le 22 Novembre et j’en ai éprouvé bien de l’ennui à la pensée qu’ils se sont peut-être privés eux-mêmes pour m’envoyer un peu de nourriture. Et j’ai tant de joie à recevoir un colis. Il n’aura pas été perdu pour tout le monde.

[Il y avait dans les camps, des Français qui s’occupaient des colis, c’étaient surtout des Ss officiers parce qu’ils n’étaient pas astreints au travail manuel d’après les Accords de Genève. Tous n’étaient pas honnêtes et se ravitaillaient parfois au dépens des autres.
Quant aux militaires allemands ils se sentaient sous le coup de peines trop sévères s’ils avaient eu quelque penchant à la malhonnêteté.]

J’avais pris patience jusqu’à présent, espérant toujours qu’il me parviendrait. Maintenant je n’y compte plus du tout. J’ai bien reçu le colis du 22 Décembre qui a fait un heureux et ensuite les châtaignes que je vous avais demandées. Je les ai trouvées très bonnes. Comme je vous l’ai déjà dit, vos lettres d’Août 1916 me sont parvenues il y a quelques jours seulement. Quant au colis il est aussi perdu mais aura bien profité à quelqu’un.

4 Mars 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu mes cartes du 15 Janvier et 4 Février. Le colis qu’ils m’avaient envoyé le 22 Novembre était adressé : Cour 11, Baraque 106, Camp de Wahn. C’était la 1e adresse que je leur avais donnée à mon retour au camp de Wahn. Ayant changé d’adresse aussitôt après cela explique un peu pourquoi il ne m’est pas parvenu.

Ils ont envoyé mon adresse au Comité Ardéchois de Secours aux Prisonniers de Guerre.

4 Mars 1917 – Carte de Mme Mauvas

Bien cher M. Vergne

Je vous envoie un colis qui contient : pâtes pour potage, nouilles, cacao, chocolat, cubes pour assaisonner les pâtes, lentilles et lard pour faire cuire avec. Notre ami M. Garnier est au plus mal des suites d’une pleurésie qu’il a eue l’année dernière ; le médecin dit qu’il n’ira pas loin. C’est dommage car c’était un excellent homme.

Il y a, à Wahn, un ancien pensionnaire du patronage, il s’appelle Vaxelaire, filiale 89. Si vous pouviez le voir ce serait un bon ami pour vous.

Au revoir. Amitiés.

13 Mars 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu mes cartes des 4 et 15 Février mais ils ont bien de la peine en constatant que je ne reçois pas toutes leurs lettres car ils m’écrivent chaque semaine et ils savent bien que le prisonnier n’a que cela pour adoucir un peu sa captivité. Depuis le 1er Janvier ils m’ont adressé 2 colis et ils espèrent bien qu’ils me parviendront car ils ont bien mis l’adresse exacte que je leur ai donnée.

Hervé est reparti ce matin pour reprendre son travail. Le temps est pluvieux mais la végétation commence à s’éveiller.

Il écrit en même temps à Mme Mauvas pour la remercier de tout ce qu’elle a fait pour moi. Il a aussi donné mon adresse au Comité Ardéchois de Secours aux Prisonniers de Guerre.

15 Mars 1917 – À mes parents

Je commence aujourd’hui cette lettre que je dois remettre demain soir. Je n’ai pas eu de leurs nouvelles depuis plus d’une quinzaine de jours. Leur dernière lettre reçue était datée du 30 Janvier. Si j’en ai d’ici demain, je le leur dirai.

Le printemps revient mais avec lui le signal de la tourmente. Encore que de vies fauchées et que de misère !

J’espère que la Justice surgissant soudain des ruines et des débris de chair humaine, horribles décombres fera retentir sa trompette puissante. Sa voix rajeunira ceux qui l’ont aimée et jettera dans la confusion et le désarroi ceux qui ont transgressé ses lois. Venez, heure bénie de la délivrance. Seigneur écoutez cet appel ardent que laissent échapper tant de cœurs humbles et oppressés. Tâchons de prendre patience jusqu’à la fin de l’épreuve.

16-3-17 – Je reprends ma lettre commencée hier. Comme je l’espérais, j’ai eu de vos nouvelles ce matin. C’est une lettre datée du 7 Février où j’apprends que vous étiez tous en bonne santé. Vous me demandez si j’ai reçu votre colis du 22 Novembre. Hélas, non, je ne l’ai pas reçu et j’en ai eu bien de la peine car je l’avais attendu avec joie. C’est une chose qui n’arrive pas qu’à moi seul. Beaucoup de mes camarades ont été ou sont dans le même cas. Vous vous étiez peut-être privés pour me l’envoyer, c’est cela qui me fait plus de peine.

J’ai bien reçu celui du 22 Décembre et celui des châtaignes du mois de Janvier. Si vous ne pouvez plus m’en envoyer, je me contenterai de recevoir de vos nouvelles. Toutes vos lettres me parviennent et m’apportent consolation et courage.

J’avais écrit moi-même au Comité Ardéchois de Secours aux Prisonniers de Guerre. Je n’avais pas eu de réponse mais je viens de recevoir aujourd’hui un colis contenant : pantalons, képi, chaussons, jambières, riz, conserves, chocolat. J’en suis fort content. Si vous voulez bien leur écrire vous-même pour leur dire que j’ai bien reçu leur colis contenant : vivres et effets en leur donnant mon adresse actuelle exacte

Jean-Noël Vergne 24ème R.I., Camp de Wahn, Filiale 1438, Matricule 100.873

17 Mars 1917 – Lettre de Mme Mauvas à mes parents

Monsieur,

Je viens répondre à votre lettre. J’avais gardé de votre fils un très bon souvenir et c’est avec plaisir que je lui enverrai, comme je le lui ai promis, un colis par mois. Je sais comme nos pauvres prisonniers ont besoin qu’on ne les oublie pas, ayant, moi-même, mon mari prisonnier.

Tranquillisez-vous, le camp de Wahn n’est, je crois, pas plus mauvais que les autres et si ses colis ont quelquefois un peu de retard, ils finiront bien par arriver. Au mois de Décembre, je lui en ai fait envoyer un par la Ligue des Femmes Françaises de la Demi-Lune ; le 17 Janvier, ma mère lui en a envoyé un et moi, fin Février ou commencement Mars, je ne me souviens pas exactement, je lui en ai expédié un. J’en renverrai un à la fin de ce mois.

Seulement, un colis par mois, ce n’est pas grand-chose, ce n’est qu’un supplément. Savez-vous que chaque prisonnier peut recevoir des colis du Comité de Secours qui fonctionne dans chaque département ? Pour les prisonniers appartenant au département de l’Ardèche, voici l’adresse : Comité Central Ardéchois de Secours aux Prisonniers de Guerre au Palais de Justice, à Privas.

Vous n’avez qu’à leur envoyer l’adresse de votre fils et leur demander de lui envoyer des paquets, ils le feront sûrement.

Recevez, Monsieur, mes sincères salutations.

J. Mauvas.

23 Mars 1917 – Lettre de mon père

Nous venons d’apprendre par ta dernière carte que tu as reçu la lettre d’Hervé du 21 Janvier et une de moi. Cela nous fait plaisir car tu nous disais sur ta carte précédente que tu n’avais pas eu de nouvelles de nous depuis un mois. J’ai écrit comme tu nous le demandais à Mme Mauvas pour la remercier pour ce qu’elle a fait pour toi. Nous voyons par ta carte que tu as de nouveau reçu de ses nouvelles. Tous en bonne santé. Hervé était reparti travailler à Lyon puis il a été obligé de quitter son travail car il avait repris froid. Une fois rétabli, il est reparti reprendre son travail, le mardi 13 Mars.

Le printemps s’annonce mais les nuits sont encore froides et il gèle. Dieu veuille que nous soyons bientôt réunis.

P.S. – Nous venons de recevoir une lettre de Mme Mauvas.

25 Mars 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu hier ma lettre du 1er Mars qui leur a bien fait plaisir. Mais ils sont bien peinés que je n’aie pas reçu leur colis du 22 Novembre. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour me secourir et prient Dieu pour qu’il me garde en bonne santé.

7 Avril 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma carte du 11 Mars. Le printemps commence à se manifester mais il y a encore de la neige sur les montagnes et ils en ont parfois quelques giboulées.

On a enterré Frédéric Seux[1] [Dérin à la jambe de bois] mardi passé. Ils pensent qu’Hervé viendra de Lyon, Dimanche prochain, jour de Pâques.

[1] Il s’agit probablement du domestique des Colange, à Longetane.

12 Avril 1917 – Carte de Mme Mauvas

Mon cher Ami,

Ma mère a reçu la carte lui accusant réception de son paquet. Je vous envoie aujourd’hui : pâtes pour potages et pour plats, riz, gâteau, chocolat, sardines, savon, café moulu, sucre, sel, cubes pour bouillon et palmibore, ce produit remplace le beurre. Dites-moi si ce produit vous convient. Je vous fais aussi envoyer un colis par la Ligue à l’occasion de Pâques. Avez-vous appris la mort de M. Garnier ?

Nous avons toujours un temps très froid.

Au revoir mon cher Ami ; bonne santé. Je vous serre cordialement la main.

J. Mauvas

20 Avril 1917 – Lettre de mon père

Tous en bonne santé. Ils sont heureux de savoir par ma dernière lettre que j’ai reçu un colis du Comité Ardéchois de Secours aux P.G. mais constatent que je n’ai pas encore reçu le colis de 5 kg qu’ils m’ont expédié au mois de Février. Ils m’en ont envoyé un autre d’un kg la semaine passée.

Temps bizarre au pays. Il ne fait pas chaud et la végétation est en retard d’un mois. Pas d’arbres en fleurs sauf quelques amandiers. Il y a toujours de la neige à La Louvesc et au Pilat. Hervé est venu pour les fêtes de Pâques.

29 Avril 1917 – À mes parents

Les dernières nouvelles que j’ai d’eux sont du 26 Mars. Je suis content de savoir qu’ils se maintiennent en bonne santé. Je vais bien aussi mais j’ai eu mal à un doigt [un panaris]. On me l’a bien soigné. On m’a même endormi pour arracher l’ongle. J’espère bien que c’est la dernière année de guerre.

ABSENDUNG 10-5-17

1er Mai 1917 – Lettre de mon père

Ils n’ont plus eu de mes nouvelles depuis ma lettre du 15 Mars.

Enfin, le beau temps est venu. Il y a bien encore un peu de neige sur le Mont Pilat mais elle tend à disparaître. Les cerisiers et les pêchers sont en fleurs.

Et voilà bientôt un an que je suis en captivité, moi qui leur avais dit dans une de mes lettres que je serais de retour lorsque les lilas seraient en fleurs. Cruelle désillusion et le jour attendu tarde bien à poindre à l’horizon.

La famille Rullière[1] m’envoie un amical bonjour.

[1] Voisins et amis habitant aux Pêchers.

6 Mai 1917 – À mes parents

Depuis leur lettre datée du 26 Mars et qui m’est parvenue le 22 Avril je n’ai plus reçu de leurs nouvelles. J’avais cru que tout m’arriverait plus régulièrement mais je suis encore une fois déçu.

ABSENDUNG 15-5-17

14 Mai 1917 – Lettre de mon père

Ils n’ont toujours pas reçu de mes nouvelles depuis ma lettre datée du 15 Mars.

Ils sont maintenant dans l’inquiétude ; un mois sans nouvelles.

20 Mai 1917 – À mes parents

J’ai reçu avant-hier leur lettre du 7 Avril et suis heureux de les savoir en bonne santé. J’ai reçu, il y a une semaine, le colis postal dont ils m’ont parlé mais il ne m’est pas parvenu en bon état. Il contenait : une petite boîte de graisse, un morceau de saucisson et un peu de riz.

ABSENDUNG 31-5-17
P. Pr. LIMBURG

27 Mai 1917 – Carte de Mme Mauvas

Mon cher Ami,

J’ai reçu votre carte du 22 Avril dont je vous remercie. Voilà le beau temps revenu, on est moins malheureux qu’en hiver. Je vous envoie un colis qui contient : boîtes lait, confitures, riz, nouilles, vermicelles et cubes pour assaisonner les pâtes et le riz, car maintenant, avec la chaleur qu’il fait, la graisse fondrait en route et risquerait d’abimer le reste.

Au revoir, mon cher Ami, ma famille se joint à moi pour vous envoyer nos meilleures amitiés.

J. Mauvas

30 Mai 1917 – Lettre de mon père

Ils sont encore sans nouvelles de moi depuis ma lettre du 15 Mars. Cela leur fait mal de ne plus recevoir aucune nouvelle car, à chaque instant, ils pensent à moi déjà si éprouvé. Deux blessures et ensuite prisonnier de guerre depuis un an.

Il m’écrit tantôt à l’adresse qu’ils avaient de moi, tantôt à l’adresse qu’on leur a donnée et ils ne reçoivent toujours rien. Ils me prient de leur écrire un mot pour les rassurer car ils vivent dans l’angoisse.

7 Juin 1917 – Lettre de mon père

Voilà bientôt trois mois qu’ils sont sans nouvelles car ils n’ont toujours plus rien reçu depuis ma lettre datée du 15 Mars. Comme c’est long et que penser ?

Cependant ils m’écrivent comme d’habitude et espèrent que je finirai bien par recevoir leurs lettres. Ils sont en bonne santé.

Vite au moins deux lignes.

10 Juin 1917 – Lettre de mon père

Ils viennent de recevoir aujourd’hui, ma carte datée du 29 Avril. Ils sont heureux d’avoir enfin de mes nouvelles car ils n’avaient plus rien reçu depuis ma carte datée du 15 Mars. Ils voient que j’ai été bien soigné pour mon doigt [panaris]. Dieu merci, dit mon père, il y a de braves gens partout. Dieu veuille nous garder en bonne santé, eux comme moi afin qu’au jour de la libération, nous puissions nous revoir avec joie après cette cruelle et longue séparation.

Hervé est venu pour la fête de la Pentecôte et aujourd’hui ils ont également reçu une lettre de lui. Il lui écrit pour lui donner mes dernières nouvelles qu’il demande. Voici les grands travaux qui commencent avec la fenaison. Ils font comme ils peuvent.

Ma mère Louise et Clotilde se joignent à lui pour me transmettre leurs affectueuses pensées.

19 Juin 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu mes deux cartes du 29 Avril et du 6 Mai. Ils sont en bonne santé. Hervé est toujours à Lyon et il demandait souvent de mes nouvelles ; ils lui en ont donné.

25 Juin 1917 – Lettre de mon parrain Maurice Vergne à son frère et à sa belle-sœur, mon père et ma mère.

Cher frère et belle sœur

Je suis aujourd’hui à St Rambert où j’ai amené quelques provisions à Berthe[1]. Elle et son petit Ricou sont en bonne santé. Malheureusement nous sommes sans nouvelles de Mange[2] depuis le 25 Mai. Est-il mort ou prisonnier ? Nous savons bien, par des camarades, que son bataillon a été fait prisonnier mais il y a eu lutte terrible ce jour-là. Le colonel dit bien dans une réponse qu’il est porté disparu depuis le 28 Mai mais qu’il ne sait rien sur son sort puisqu’ils ont été submergés par les Boches ce jour-là et qu’ils se sont emparés des ambulances, des morts et des vivants. Deux bataillons sur trois ont été faits prisonniers. Tu vois si nous devons être inquiets. Il l’avait échappé belle au Mont Kemel où sa compagnie était restée 4 hommes. Pas un gradé n’était redescendu. Lui se trouvait à Montbéliard, Doubs, dans un dépôt divisionnaire et il s’est trouvé seul, avec son lieutenant qui avait coupé aussi à la bataille.

Chatron[3] était aussi au Mont Kemel ; il a vu le 75e de Romans, a demandé Alphonse[4] mais n’a pu le voir. Ces jours-ci il a failli être pris prisonnier du côté de Montdidier. Ils ont tout abandonné : leurs pièces, leurs voitures ; juste emmené leurs chevaux. Il était descendu en Italie le jour de la Toussaint et en était remonté le Dimanche après Pâques. Il est depuis longtemps au 113e d’Artillerie Lourde. Mange est depuis longtemps au 413e, sergent à la 7e.

3 nouveaux décès à St Vallier cette semaine d’annoncés, sans compter ceux qui sont sans nouvelles.

Joséphine et Marie-Louise sont en bonne santé. Moi, je suis toujours pas bien. Je marche et travaille toujours ce que je peux. J’espère que vous êtes tous en bonne santé. Jean est encore mieux prisonnier car, rien que d’y penser, ça fait peur un carnage pareil.

Je pense monter à Quintenas Dimanche ou un autre, pas bien sûr. Je dois mener le père et la mère Marron pour affaires. Nous causerons plus longuement.

À bientôt le plaisir de vous voir.

Votre frère et beau-frère
Mce Vergne.

[1] Sa fille

[2] Époux de Berthe

[3] Autre gendre, époux de Marie-Louise

[4] Alphonse Vergne, son neveu, cousin des deux gendres

26 Juin 1917 – Carte de Jeanne Persoud

Elle vient d’avoir de mes nouvelles par Hervé. Depuis longtemps elles n’avaient pas eu de mes nouvelles et en étaient inquiètes. Elles ont passé leur Dimanche avec Hervé et sont allés chez Mme Gauzan, Avenue du Parc où j’avais passé une bonne soirée avec elles. Il y avait aussi Marius Seux ainsi que sa sœur. Ils ont leurs deux fils sur le front et en ont de bonnes nouvelles. Marius Seux doit venir en permission dans une quinzaine de jours.

Elles vont bien et parlent souvent de moi avec sa mère. Elle pense que, moi aussi, je pense quelquefois à elle en qualité de cousine !! Si je peux leur envoyer un mot je leur ferai un grand plaisir. Son cousin Michel[1] de Vers est toujours en Suisse et son frère Louis est à Vers en congé de convalescence pour 30 jours. A Lyon, vie toujours aussi active et temps superbe. En attendant de mes nouvelles, meilleures amitiés et bon souvenir.

[1] Michel Voulouzan, de Vernosc

14 Juillet 1917 – Lettre de mon frère

Il est à Montjoux pour 8 jours. Il travaille toujours à Lyon, à l’usine des moteurs rotatifs “Rhône” comme il me l’a déjà écrit mais il ne sait pas si j’ai reçu les deux ou trois lettres qu’il m’a écrites de Lyon car je n’en ai pas parlé.

Ils pensent que, s’ils ont été, à la maison, longtemps sans recevoir de mes nouvelles, la raison en était mon mal de doigt dont j’ai souffert. Cela m’en fera un de plus d’estropié, (dit-il), puisqu’on m’a arraché l’ongle.

[le doigt a été bien soigné et guéri ; il n’est pas estropié du tout]

Il espère qu’après guérison cela ne me gène pas trop. Il me dit qu’il est heureux de voir que ma santé générale n’est pas altérée, si je leur dis bien la vérité. « Puisses-tu, me dit-il, tenir bon jusqu’au bout et ne pas nous revenir trop décrépit. » Il me dit que je ne suis pas très fort mais cependant plus robuste que lui. Il ne sait pas ce qu’il serait devenu à ma place, avec les ennuis de la captivité et les privations que nous devons forcément subir.

On a fini de rentrer les foins et l’on commence à moissonner. Il a fait très chaud mais aussi beaucoup d’orages et de pluies ce qui a bien gêné la rentrée des foins. La chaleur et les gros travaux ont fatigué tout le monde à la maison mais surtout notre mère. Espérons que le jour de la délivrance est plus prochain que nous n’osons le croire à présent. Puissions-nous bientôt nous retrouver tous réunis.

18 Juillet 1917 – Lettre de notre cousin de Cintres, Jean Vergne, à mes parents qui lui avaient écrit.

Aux Tranchées, le 18 Juillet 17

Cher Cousin,

J’ai reçu votre lettre avec plaisir voyant que vous êtes en bonne santé. Pour moi je vais toujours assez bien et j’espère que ma présente vous trouve de même.

Cher cousin vous me dites que mon cousin est prisonnier en Allemagne a eu mal à un doigt mais qu’il a été soigné. Il faut espérer qu’il est dans un bon camp car c’est bien comme partout tous ne sont pas pareils. Il faut espérer qu’il est complètement guéri. Il ne faut pas vous inquiéter, il est jeune il peut vous revenir en bonne santé. Vous me dites que mon autre cousin a été mobilisé à l’usine où il travaillait. Tant mieux, au moins il ne verra pas le combat. Je suis en ce moment aux tranchées de 1ère ligne ; ce n’est pas très gai mais Reims non plus n’est pas gai. Ce que la ville a reçu le 14 Juillet, les Boches l’ont fêtée mais malgré ça je vais bien et je vis dans l’espoir. Ici il fait un vilain temps, il pleut presque tous les jours. S’il en est de même à Quintenas, vous ne devez pas avoir du bon pour moissonner. Je ne vois pas grand-chose à vous dire car rien ici n’est intéressant. La belle ville de Reims devient en ruine, voilà ce que l’on voit. Je termine en vous embrassant.

Votre Cousin Vergne Jean.

28 Juillet 1917 – Lettre de mon père

Ils ont reçu ma carte du 10 Juin et sont tous à peu près en bonne santé sauf ma mère qui est toujours un peu fatiguée. Hervé qui était un peu fatigué est venu passer 8 jours à la maison. Il est reparti reprendre son travail et leur écrit que ça va mieux.

Je leur ai dit que j’étais employé à des travaux pénibles et mon père me dit que je ne suis pas des mieux partagés car il en connaît qui sont employés dans des fermes et qui ne se plaignent pas trop.

Ils ont terminé la moisson et mon père en est bien aise car ils se trouve bien seul pour ces travaux des champs et il a eu bien à faire.

Courage, me dit-il, peut-être aurons-nous le bonheur de nous revoir bientôt.

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4 Août 1917 – Lettre de mon père

Ma mère, qui était fatiguée, va mieux. La dernière carte qu’ils ont reçue de moi est datée du 10 Juin. Il me dit que je leur ai écrit que j’étais employé à des travaux pénibles [je ne m’en souviens pas] mais que je dois prendre mon sort en patience. Cette guerre qui dure depuis trois ans prendra fin bientôt.

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10 Août 1917 – Carte de Mme Mauvas

Mon cher Ami,

Voilà bien longtemps que je n’ai pas reçu de vos nouvelles. Je pense que vous avez dû recevoir mon dernier colis. Je vous en envoie un aujourd’hui, il contient : nouilles, semoule, riz, chocolat, cubes pour bouillon, sucre, thé, café, boîte bœuf, confiture, sel.

Ma mère est un peu fatiguée depuis deux mois, ce qui m’inquiète bien ; je vous demande de prier pour elle.

En attendant je vous envoie mes amitiés.

J. Mauvas

Filiale 222 LIMBURG

15 Août 1917 – Lettre de mon père

Ils vont bien mais n’ont pas eu d’autres nouvelles depuis qu’ils ont reçu ma carte datée du 10 Juin. Ils en attendent et pensent bien en avoir cette semaine.

Aujourd’hui ils ont eu la visite de nos cousines de Lyon : Rosine et Jeanne[1] avec François Voulouzan de Vers et son fils Louis qui est en permission de convalescence. Ils ont parlé de moi Ils poursuivent comme ils peuvent leurs travaux. Ils vont commencer à battre le blé.

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[1] Rosine et Jeanne Persoud