Marie Misery (1873-1973)

Ancienne combattante 1915-1918

Le 6 avril 2019, Marie Misery donne son nom à l’École primaire publique de Quintenas, son village natal.

Cette femme remarquable a été la seule à obtenir le statut d’Ancien Combattant dans le département de l’Ardèche.

Audacieuse, courageuse, déterminée, altruiste : ces qualificatifs la caractérisent bien et justifient l’hommage qui lui est rendu par la population du village et les représentants des autorités qui se sont déplacés à cette occasion.

C’est grâce à la ténacité de la directrice de l’établissement, Pascale Thomas-Balandraud, que ce baptême républicain a pu avoir lieu. Un grand merci à elle pour ce choix judicieux.

Unique photographie de Marie Misery, fournie pour son dossier de demande de pension d'Ancien Combattant • Archives Départementales de l'Ardèche réf. 1292W14

Enfance

Marie Élisabeth Françoise Misery est née le 9 juin 1873, au hameau de Montjoux, dans la maison de ses parents. Elle est leur troisième enfant. Son frère aîné Henri a 5 ans et sa sœur Louise 2 ans et demi.

Son père, Maurice Misery, maçon, est né à Éclassan où sa famille, originaire de Quintenas, s’était installée temporairement.

Sa mère, Philomène Rey, est tailleuse d’habits. Native de Quintenas, elle est apparentée à la famille Caillet du tout proche hameau de Brun.

Marie Misery passe son enfance à Montjoux. Elle est âgée de 5 ans lorsque son père meurt. Le recensement de 1886 nous apprend qu’elle ne vit déjà plus avec sa mère, pourtant elle n’a que 13 ans. Il était courant que les jeunes filles soient placées dans des familles comme bonne d’enfant ou bien qu’elles rejoignent les usines textiles des environs dès l’obtention de leur certificat d’études.

La maison Misery à Montjoux • Photographie Sylvette David

Vie à Paris

Marie part pour Paris où elle est cuisinière dans une famille bourgeoise du IXarrondissement. Cet emploi évolue vers un poste de gouvernante. Marie gère une maisonnée composée de 13 domestiques au service de 3 personnes. 

En 1908, elle perd sa mère et hérite d’un tiers des biens de la famille Misery. Elle est nue-propriétaire ; c’est son frère Henri, handicapé car bossu, qui en est l’usufruitier.

Elle est toujours à Paris lorsque la guerre éclate.  La presse relaie abondamment les difficultés du peuple Serbe. Les soldats et les civils sont affamés et épuisés. Dans ces conditions, les maladies ont proliféré et des centaines de milliers de personnes ont péri.

Ces informations la touchent probablement car elle abandonne tout pour s’engager comme infirmière volontaire au sein de l’Union Nationale des Alliances et Amitiés Françaises Croix-Rouge.

Affiche de soutien au peuple Serbe
Valjevo (Serbie) : les morts du typhus, décembre 1914

Engagement

Marie Misery quitte la France pour la Serbie le 8 avril 1915. Elle embarque, à Marseille, sur le paquebot Le Lotus. Il y a à bord une trentaine de médecins français et de nombreux soignants dont deux missions anglaises. Le Lotus fait escale à Malte, puis au Pirée, pour débarquer à Salonique (Grèce). Ensuite le trajet jusqu’en Serbie se fait en train. 

Elle est affectée à Valjevo, un des quatre principaux hôpitaux militaires. On y travaille  vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’armée serbe ne compte que 300 médecins pour plus d’un demi-million d’hommes et, en plus des blessures au combat, l’hôpital doit faire face à une épidémie de typhus qui ravage les populations tant civiles que militaires. Tous les soignants qui travaillent en Serbie à cette époque sont épuisés et beaucoup sont malades. Le récit d’un groupe d’infirmières écossaises nous apprend ce qu’a découvert  Marie Misery à son arrivée :

“L’hôpital se trouvait sur une colline surplombant la ville, entouré d’une nuée de toiles de tente abritant dortoirs, cuisine, salles d’examen. Au bas de la colline les lavoirs, une quarantaine de tentes de bain et de rasage et un espace réservé aux déchets. Pour prévenir la propagation du typhus, les soldats étaient déshabillés, les vêtements ébouillantés ou brûlés, les hommes étaient lavés et intégralement rasés, les poux se dirigeant toujours vers les endroits les plus chauds du corps humain. Du benzène était souvent pulvérisé sur les hommes et dans les tentes pour tenter de tuer les poux. Les infirmières et les médecins portaient des bottes en caoutchouc avec des bandes d’étoffe nouées autour des poignets et des jambes, imbibées d’huile de camphre. Une seule morsure de poux et vous pouviez être infecté.”

Valjevo est pratiquement mis en quarantaine, sans aucun accès, la nourriture est rare et les habitants de la ville meurent de faim.

Paquebot Le Lotus des Messageries Maritimes converti en navire-hôpital
Hôpital sous tentes de Valjevo (Serbie)
Plan de Valjevo (Serbie) avec tous les hôpitaux installés dans la ville

Prisonnière

En octobre 1915, Belgrade tombe et la Serbie plonge dans le chaos. En novembre, les hôpitaux sont sommés d’évacuer. Certaines infirmières de Valjevo rejoignent les colonnes serbes qui battent en retraite, espérant peut-être pouvoir aider ou tout simplement ne pas tomber aux mains des Austro-Hongrois, ou des Bulgares qui viennent de se rallier aux Empires Centraux. Mais la plupart choisissent de rester. Marie Misery, elle, ne peut suivre la fuite des Serbes car elle a contracté le typhus. Le 1er novembre, elle a été évacuée vers Milanovac puis Tchaktchak (Čačak). Les troupes françaises envoyées en renfort se replient vers Salonique le 1er décembre. Marie est, de fait, prisonnière de la coalition Allemagne-Autriche-Hongrie-Bulgarie.

C’est grâce à l’ambassade américaine à Čačak qu’elle est libérée le 22 février 1916. Elle rentre en France.

Valjevo et Tchaktchak (Čačak) en Serbie

Infirmière sur le sol français

À son retour, Marie Misery est envoyée à Solesmes, dans la Sarthe. L’abbaye a été vidée de ses religieux. Des militaires, des infirmières et des malades, ce qu’on appelle alors une ambulance, les ont remplacés. À Solesmes, on soigne les tuberculeux. La présence de malades contagieux dans le petit village de Solesmes ne se fait pas sans heurts. Un compte rendu du conseil municipal du 2 avril 1916 fait état de protestation du conseil parce que des tuberculeux se promènent dans le village. C’est encore une fois avec courage que Marie travaille dans un environnement dangereux.

Le 1er février 1918, elle change de secteur et rejoint l’ambulance 13/20 du HOE (Hôpital d’Orientation des Étapes) de La Veuve, dans la Marne. Il est situé en zone d’évacuation, à une vingtaine de kilomètres du front. C’est là que les soldats qui ont été préalablement triés sur le front sont soignés ou opérés. Elle y reste jusqu’à la fin du conflit.

Hôpital militaire de Solesmes, installé dans l'abbaye bénédictine réquisitionnée
La Veuve (Marne) en 1918, petit village qui sert d'Hôpital d'Orientation des Étapes, à quelques kilomètres du front

Retour à la vie civile

Marie a 45 ans. Elle reprend un travail à Paris où elle demeure jusqu’au début des années 30. Elle habite rue de Courcelles, dans le VIIIarrondissement.

En 1933, elle s’installe à Quintenas, dans la maison familiale, auprès de son frère Henri. Ayant obtenu la carte d’Ancien Combattant n° 29613 assortie d’une pension, elle dispose d’un revenu plus conséquent. Elle fait alors construire une aile accolée à sa maison de Montjoux pour y vivre indépendamment.

Décision d'attribution de la qualité d'Ancien Combattant • Archives Départementales de l'Ardèche réf. 1292W14

Bénévolat au service des Quintenassiens

Les soins infirmiers ne sont pas organisés dans les campagnes. Marie Misery va bénévolement dans les familles faire des piqûres ou des pansements lorsque les Quintenassiens en ont besoin. Et aujourd’hui certains se souviennent encore des piqûres qu’ils ont subies lorsqu’ils étaient enfants, car on peut les caractériser d’énergiques.

Enfin, une longue retraite

Henri Misery, frère de Marie, meurt en avril 1944. Après ce décès, elle vit seule puis héberge une famille en difficulté. Elle prend finalement la décision de rejoindre une maison de retraite à la fin des années 40. 

Marie-Rose Garonnat (Bonnet) raconte

“Un matin, elle est venue, comme tous les jours, chercher son lait dans notre ferme. Nous étions ses voisins immédiats. Elle a dit à ma grand-mère :

— Marie, c’est la dernière fois que je viens. Demain je rentre à la maison de retraite. 

— Mais vous êtes en bonne santé, pourquoi ?

— Je n’ai pas d’enfant pour s’occuper de moi.  Un jour on me trouvera étendue par terre et personne ne s’en sera aperçu. Il vaut mieux que je parte.”

Henri Misery vers la fin de sa vie, avec ses voisins Pierre et Marius Garonnat • Collection Marie-Rose Bonnet

Elle ne pensait probablement pas y passer une trentaine d’années. Dans la maison des Petites Sœurs des Pauvres, à Annonay, elle a reçu la visite des gens du village, de ses cousins Duchamp, Nicolas et Fontanet, et de son neveu, Benoît Perrier, venu habiter par la suite la maison de Montjoux.

Marie Misery meurt le 6 mars 1973, à l’âge de 99 ans et 9 mois, au terme d’une vie atypique pour une femme née au XIXsiècle. 

Remerciements

Nous tenons à remercier les personnes qui ont fait des recherches afin de nous permettre de préparer cette biographie, en particulier Laurent Ducol pour son intervention auprès des Archives de la Croix-Rouge, Héloïse Rouge des Archives Départementales de l’Ardèche, Clémence Robineau de l’ONAC, Sœur Colette de la communauté des Petites Sœurs des Pauvres, et bien sûr les Quintenassiens qui nous ont fait part de leurs souvenirs.